Faut-il garder le CHSCT ?
Le premier a rédigé une étude du think tank Terra Nova prônant la fusion des trois instances représentatives du personnel. Le second n'y était pas favorable dans son rapport au gouvernement sur le CHSCT. Martin Richer et Pierre-Yves Verkindt s'expliquent.
Le 20 janvier, les négociations entre les partenaires sociaux sur la modernisation du dialogue social, qui portaient notamment sur la fusion des trois instances représentatives du personnel (IRP) - délégués du personnel (DP), comité d'entreprise ou d'établissement (CE) et comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) -, ont échoué. Martin Richer, vous étiez plutôt d'accord avec le principe de cette fusion, et vous, Pierre-Yves Verkindt, plutôt opposé. Expliquez-vous.
Martin Richer : L'objectif est de parvenir à un dialogue social moins formel et davantage porteur de progrès économique et social. Dans ce cadre, quel est le moyen d'améliorer l'efficacité des politiques de santé au travail tout en simplifiant les instances et les processus ? La fusion des IRP apporte une réponse pertinente, à condition, bien entendu, de préserver ce qui fait la force des CHSCT : l'étendue de ses attributions, qui doivent être intégralement reprises par le conseil d'entreprise, la proximité avec le travail réel et l'ouverture de l'instance (présence du médecin du travail et des acteurs de la santé).
La fusion CHSCT-DP que vous préconisez, Pierre-Yves Verkindt, dans votre rapport remis il y a exactement un an est un premier pas. En effet, lorsqu'on traite des questions comme le harcèlement, l'incivilité, le stress au travail, on constate concrètement que les problématiques individuelles (DP) et collectives (CHSCT) sont totalement imbriquées. Mais cela ne suffit pas, car on ne peut pas non plus établir des cloisons étanches entre les sujets pris en charge par le CHSCT et ceux dévolus au CE. Par exemple, la question des risques psychosociaux (CHSCT) soulève un problème de charge de travail lié à la clientèle (traité par le CE) et une meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle (retour au CHSCT), d'où la question de l'égalité professionnelle (commission du CE) et de la mise en place du télétravail (CE ou CHSCT). Bref, le dialogue social n'en peut plus d'être ainsi découpé en fines tranches ! Et les élus, qui n'en peuvent plus de se disperser dans des instances multiples, sont réduits à cumuler les mandats. L'enjeu d'une fusion des IRP, c'est que le travail et les impacts humains du changement soient envisagés de façon plus stratégique et traités ensemble, en cohérence.
Pierre-Yves Verkindt : Je suis d'accord avec l'idée selon laquelle il faut veiller à ne pas découper le dialogue social "en fines tranches". Je suis moins convaincu, en revanche, par le fait que la solution résulterait de la fusion des différentes instances. Plusieurs arguments sont mobilisés en faveur de cette fusion. J'écarte celui que vous n'abordez pas, à mon sens à juste titre mais qui reste toujours en filigrane, et qui est celui de la réduction des coûts qu'entraînerait une telle fusion. Je ne garde que l'argument tiré des zones de recouvrement des compétences entre les instances et des interactions entre l'individuel et le collectif en matière de conditions de travail au sens large. Je pense que le CHSCT et les DP ont en commun leur nécessaire ancrage dans la réalité du travail. C'est la raison pour laquelle il me semble que leur rapprochement, voire leur fusion seraient justifiés. A la condition que cette option s'ancre elle-même dans la réalité du travail et des risques de chaque entreprise. En d'autres termes, ce n'est pas à la loi de le faire. Tout au plus doit-on attendre d'elle qu'elle permette des expérimentations conventionnelles contrôlées. S'agissant des rapports entre CE et CHSCT, vous avez raison de relever qu'ils ont tous deux une compétence concernant les conditions de travail et que les risques de recouvrement ne sont pas nuls. Cependant, les regards respectifs que ces instances sont appelées à porter sur cette question sont différents et complémentaires, et cette complémentarité est un atout pour appréhender rationnellement l'amélioration des conditions de travail. Rationaliser l'action, c'est ici chercher les moyens d'une information réciproque et d'une coordination, plus qu'envisager une fusion. Je crains en effet qu'une telle option ne conduise - pour des raisons faciles à imaginer dans le contexte actuel - à noyer la question du travail dans celle de l'emploi, à rebours de l'évolution positive amorcée depuis maintenant vingt-cinq ans.
Au-delà de la simplification des IRP souhaitée par le patronat et le gouvernement, les organisations syndicales étaient en désaccord avec la réduction des moyens en nombre de représentants et heures de délégation, en formation, en possibilités de recours à l'expertise (on a vu ressurgir la codétermination et le cofinancement du recours à l'expert)... Cela ne confirme-t-il pas que le patronat cherchait avant tout à réduire leur pouvoir d'intervention et singulièrement celui du CHSCT, dont on dit qu'il est devenu la bête noire des employeurs ?
P.-Y. V. : Au risque d'être taxé d'angélisme, je ne veux pas rentrer dans un jeu qui consisterait à rechercher les intentions, plus ou moins cachées, pour ensuite les dénoncer. Pour rester sur le terrain du CHSCT "bête noire", il faut sans doute constater qu'il dispose aujourd'hui de compétences qui se sont élargies et de pouvoirs importants. Peut-être même plus importants que ceux du CE, car passer outre un avis du CE est une chose, passer outre celui du CHSCT est susceptible d'avoir des effets très lourds si ultérieurement des atteintes à la santé physique ou mentale venaient à être constatées. Pour autant, le CHSCT me paraît être une pièce importante dans la stratégie de prévention des risques et il me semble que l'entreprise et les travailleurs ont tout à gagner dans la rationalisation de cette prévention. Le CHSCT qui fonctionne bien participe de cette rationalisation. Reste que le regard sur l'instance et l'inquiétude qu'elle suscite sont biaisés par une attention excessive à la jurisprudence et surtout à l'approche contentieuse, spécialement de l'expertise. Mais il faut dire que ce n'est là que la partie émergée de l'iceberg, qui ne rend pas compte de la réalité du fonctionnement des instances. C'est un peu comme si on n'examinait l'intérêt des baux commerciaux qu'à travers le prisme du contentieux sur les loyers.
M. R. : Je crois au contraire qu'il est utile de décrypter le jeu des acteurs. Mais on ne peut pas envisager le patronat de façon monolithique, comme en témoignent les positions diamétralement opposées de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et de l'Union professionnelle artisanale (UPA) sur la question du dialogue social dans les très petites entreprises (TPE). C'est un point majeur, car plus de la moitié des salariés - 54 %, d'après l'enquête Sumer1 2010 - travaillent dans des organisations dépourvues de CHSCT. La seule volonté de préserver les CHSCT laisserait donc de côté la moitié du chantier de l'amélioration des conditions de travail. En s'arc-boutant sur un objectif quelque peu poujadiste de réduction de moyens, le Medef a manqué une occasion historique de recomposer intelligemment les IRP. Mais je remarque aussi qu'il a fait des avancées très significatives, notamment sur les TPE et sur l'abaissement du seuil de déclenchement du conseil d'entreprise, là où les CHSCT ne sont pas présents.
Effectivement, le patronat a agité maladroitement la codétermination et le cofinancement du recours à l'expert en prétendant les généraliser, alors qu'il serait plus pertinent de les réserver aux situations non conflictuelles. Cela permettrait de renforcer l'utilité des expertises dans un domaine, la santé au travail, gouverné par les obligations de résultat qui s'imposeraient à tous... sauf aux experts !
Pendant les négociations, il y a eu des réactions en faveur du maintien du CHSCT, y compris au sein de centrales syndicales qui acceptaient l'idée d'une fusion des IRP. Comment expliquez-vous cet engouement assez récent pour cette instance ?
M. R. : Justement, ce n'est pas un simple engouement. Toujours masqué derrière l'emploi, qui sature le débat public et accapare l'énergie des représentants du personnel, le travail ressurgit depuis le début des années 2000 et se rappelle à nous. Les syndicats ont raison de prendre le travail comme un outil de réinvestissement du terrain syndical et les directions ont raison de le considérer comme un facteur de différenciation compétitive dans l'économie de la connaissance.
P.-Y. V. : Tout à fait d'accord avec Martin Richer. Ce n'est pas un simple engouement. Si le CHSCT est devenu l'objet d'une telle attention, c'est qu'il "porte" quelque chose de fondamental dans les transformations du travail et de sa lecture. Les organisations syndicales et certaines organisations patronales ont réinvesti ce champ et c'est une excellente nouvelle. Non parce que le consensus y serait plus facile que sur d'autres terrains, comme on a tendance à le dire beaucoup trop vite, mais parce que la "panne" de la réflexion sur le travail est en passe d'être surmontée. Le travail réel doit reprendre l'ascendant sur l'image comptable du travail. C'est pour cette raison que le CHSCT doit rester une instance clairement identifiée et repérée au sein des relations sociales.
Que faudrait-il faire pour débloquer la situation ? Quels conseils donneriez-vous au gouvernement, qui a repris la main sur cette question ?
P.-Y. V. : Je ne me sens aucune légitimité pour donner des conseils à un gouvernement. Je dis simplement qu'il serait dommageable pour tout le monde - les salariés, les entreprises et, au-delà, la collectivité nationale, car les impacts de la santé au travail sur la santé publique sont essentiels - de se priver d'un lieu de débat social sur le travail tel qu'il se fait et d'un espace où s'élaborent en continu des savoirs sur le travail. C'est la raison pour laquelle je soutiens que, à supposer même qu'on s'engage vers des formes conventionnelles de fusion des instances, un sort à part doit être fait au CHSCT.
M. R. : Oui, mais c'est justement parce que la question du travail est centrale qu'elle doit irriguer l'ensemble des IRP. Une bonne réforme doit viser l'amélioration de la capacité des élus à peser efficacement dans le sens de la prévention des risques, de la santé et de l'amélioration des conditions de travail, sans esquiver la question des moyens. Or que nous dit l'enquête European Company Survey, menée par la Fondation de Dublin ? La France se distingue positivement par les moyens consacrés aux expertises, un atout qu'aucun autre pays européen n'est en mesure d'égaler. En revanche, elle est en queue de peloton pour la formation des élus : la proportion des représentants du personnel ayant bénéficié d'une formation spécifique à l'exercice de leur mandat n'est que de 35 % en France, contre 66 % en moyenne européenne. Vous avez, vous aussi, beaucoup insisté dans votre rapport sur l'importance de cet enjeu de formation. Sauf à se crisper sur la préservation des spécificités du dialogue social "à la française", qui est loin d'avoir prouvé son efficacité, il faut réfléchir à un rééquilibrage.
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Pour "Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels". Enquête menée par le ministère du Travail.