Flux tendu dans la boulangerie industrielle
Economiquement, le secteur de la boulangerie industrielle est plutôt florissant. Du côté des conditions de travail, en revanche, entre les cadences, le travail de nuit et les troubles musculo-squelettiques, les salariés dégustent. Témoignages.
Que ce soit dans les usines de production, les boutiques des zones commerciales ou encore sur les plates-formes de distribution, les conditions de travail dans le secteur de la boulangerie industrielle sont loin d'être enviables. Sur les sites de production, l'automatisation a certes permis de réduire en partie la pénibilité de certains gestes physiques. Pourtant, les salariés continuent à souffrir de troubles musculo-squelettiques (TMS). Cédric Benoist, ergonome pour l'Association de santé au travail interservices (Asti) en Midi-Pyrénées, est intervenu au sein d'une entreprise toulousaine de boulangerie industrielle, suite à un constat alarmant de la médecine du travail sur les TMS. " Les TMS au niveau des membres supérieurs et du dos constituent la problématique numéro 1 dans ce type d'entreprise ", remarque-t-il. Ce spécialiste en santé au travail évoque notamment les cadences, les gestes répétitifs sur les lignes de fabrication, la manutention des plaques de pains et des chariots de transport, l'absence de rotation sur les postes.
" Même avec la mécanisation, nous portons toujours des plaques de baguettes ou des cartons de produits. Et comme il faut produire toujours plus, les employés courent en permanence, glissent sur les sols humides, se brûlent avec les plaques chaudes, se coupent avec les cutters et coupe-pâte ", déclare Alain Kempynck, délégué syndical central CGT du groupe Holder, qui comprend entre autres les enseignes Paul, Château Blanc et Ladurée. Erik Melice, délégué syndical central FO du même groupe, confirme que les chutes et les coupures sont des motifs réguliers d'accident du travail (AT). La direction de Château Blanc tient à préciser que les taux de fréquence des AT dans l'entreprise continuent de baisser au fil des années. " Le taux de gravité est même inférieur à celui de la branche ", souligne Audrey Destailleur, directrice des ressources humaines de l'entreprise. De leur côté, les syndicalistes pointent les effets pervers d'une prime collective liée à la baisse des AT, ce que conteste la direction : " Un seul des critères de cette prime est lié à la sécurité, et c'est le nombre d'accidents avec arrêt. En aucun cas cela peut inciter les gens à ne pas déclarer ", soutient la DRH de Château Blanc.
Le mode de production mélangeant le manuel et l'automatique, les opérateurs se retrouvent à travailler au rythme des machines. Ces cadences entraînent non seulement des accidents, mais aussi des TMS chez les salariés de Château Blanc. Sur certaines lignes, il faut en effet répéter le même geste à la vitesse de défilement de la machine, comme napper des éclairs, mettre des quartiers d'abricot ou de pomme sur des rectangles de pâte. Contraint à ces gestes répétitifs, Philippe Wojtasiak, militant CGT et secrétaire du CHSCT de l'usine Château Blanc à La Madeleine (Nord), s'est lui-même retrouvé en arrêt maladie pour une tendinite du poignet et de l'avant-bras. " Il peut certes rester des opérations manuelles, mais l'automatisation permet d'éviter les gestes répétitifs ", tempère Audrey Destailleur. " Et puis, des chantiers d'amélioration sont pilotés par l'encadrement de terrain avec un ergonome du service de santé au travail ", insiste-t-elle.
Licenciements pour inaptitude
Sur le site d'Etoile-sur-Rhône (Drôme) du groupe Brioche Pasquier, les TMS font aussi des ravages. D'après Gemma Barea, syndiquée à FO et ex-membre du CHSCT de cette usine de pâtisseries employant moins de 200 personnes, il y aurait eu au moins une dizaine de licenciements pour inaptitude au cours des dix dernières années. " Ce sont la plupart du temps des personnes de 45 ans en moyenne, licenciées pour mal de dos ou tendinites à répétition ", précise-t-elle.
Le travail de nuit est très répandu dans le secteur, ne serait-ce que pour distribuer au consommateur des produits frais le matin. La plupart des usines imposent aux salariés un rythme de travail en 3 x 8, difficile à conjuguer avec une vie sociale et familiale. " De plus, les salariés de Pasquier n'ont qu'un seul jour de repos fixe, le dimanche. En semaine, notre jour de repos varie en fonction des impératifs de production ", témoigne Gemma Barea, qui a quitté tout récemment le secteur en raison de ces contraintes horaires.
En plus de la fatigue liée à ces rythmes de travail, les ouvriers de la boulangerie industrielle se plaignent d'un stress de plus en plus difficile à supporter. " Nous avons du mal à assurer la qualité avec la production demandée. C'est un stress permanent ", affirme Philippe Wojtasiak, de Château Blanc. Chez Pasquier, les contrôles de qualité et de sécurité des produits, qui incombaient autrefois à l'encadrement, sont désormais effectués par les ouvriers. " Quand il faut tenir les cadences, c'est une responsabilité lourde à porter, une véritable charge sur nos épaules ", ajoute Gemma Barea.
En aval de la production, les élus CHSCT des plates-formes de stockage et de distribution des produits de la boulangerie industrielle dressent aussi un constat négatif sur leurs conditions de travail. " Nous travaillons à flux tendu, avec toujours plus d'activité ", observe Philippe Peppers, syndiqué FO et secrétaire du CHSCT de Pain Jacquet, à Saint-Michel-sur-Orge (Essonne). Préparateur de commandes, Philippe Peppers travaille sur une gigantesque plate-forme de 5 000 m2 tout en tôle. Il évoque une chaleur étouffante en été, un froid difficile à supporter l'hiver, une atmosphère très bruyante, de nombreuses personnes qui se plaignent d'acouphènes, d'autres de TMS...
Investissements a minima
A l'autre bout de la chaîne, dans les boutiques des grandes surfaces commerciales comme celles de l'enseigne Paul, la souffrance au travail pèse tout aussi lourdement sur les salariés. Diane Grandchamp, déléguée CGT des boulangeries Paul, décrit des conditions de travail pénibles : espaces de travail exigus et dangereux pour les boulangers-pâtissiers affectés à la production, cadences infernales à tous les postes pour répondre à la demande des consommateurs, stress et nombreux accidents du travail dus à des chutes, des coupures ou des brûlures... Les objectifs de rentabilité se traduisent, selon elle, par des investissements a minima pour protéger la santé des salariés. " Par exemple, pour faire lever la pâte plus rapidement, on a renoncé à toute climatisation. Aussi la température dans les laboratoires de boulangerie et pâtisserie atteint-elle plus de 50 °C en été ", indique-t-elle. Dernier maillon, les vendeuses aux comptoirs. En contact avec des files de clients exigeants et pressés, elles sont soumises à des cadences proches du travail à la chaîne, le tout dans le bruit incessant des centres commerciaux. Souvent jeunes, sous contrat précaire, elles touchent des salaires proches du Smic mensuel quand elles ne sont pas employées à temps partiel. Mais chez Paul comme ailleurs, tout doit avoir l'apparence d'un service irréprochable. Quelles que soient leurs conditions de travail, les vendeuses doivent afficher le masque souriant et dynamique d'un service rendu avec plaisir...