Françoise Mesnard, "Jeanne d'Arc" de la prévention
En Poitou-Charentes, Madame la vice-présidente du conseil régional est médecin du travail. Françoise Mesnard entend fédérer les troupes, sur le terrain de l'entreprise et dans le monde politique, pour agir en faveur de la santé au travail.
La commission permanente du conseil régional du Poitou-Charentes vient à peine de se terminer et déjà la vice-présidente enchaîne sur un autre rendez-vous. La soirée débute, Françoise Mesnard sait qu'il lui faudra rouler pendant une heure et demie pour regagner son domicile de Saint-Jean-d'Angély, en Charente-Maritime. Quand bien même, sans signe de fatigue apparent, elle réserve encore un moment au visiteur venu la rencontrer à Poitiers. L'accueil est affable. Avec un sourire désolé, elle vous explique que son mari lui reproche parfois de sacrifier les temps familiaux au profit de ses activités et de ses déplacements incessants. Il faut dire qu'entre sa responsabilité d'élue à l'hôtel de région, les initiatives qu'elle met en oeuvre pour favoriser la prévention des risques professionnels et ses consultations en tant que médecin du travail, Françoise Mesnard remplit facilement son agenda.
Son époux, toujours lui, la surnomme "Jeanne d'Arc". Car c'est avec conviction que cette quinquagénaire mène la mission dans laquelle elle s'est investie : faire entendre la cause de la santé au travail. Et si elle a mis un pied dans le monde politique, "c'est pour que ce thème pénètre enfin l'espace public", affirme-t-elle. Les deux récents forums sur le sujet qu'elle a organisés et animés en Poitou-Charentes sont là pour témoigner qu'un pas a été franchi en ce sens. Mais avant d'atteindre cette satisfaction, pour le moment circonscrite au territoire que préside Ségolène Royal, il a fallu batailler ferme.
Combattre l'indifférence
Il y a presque vingt ans, au début de sa carrière de médecin, Françoise Mesnard constate déjà que l'indifférence envers les risques au travail est autant sociale que politique. Sa première expérience, chez Elf-Aquitaine, dans les Pyrénées-Atlantiques, lui fait prendre la mesure des dangers physiques ou chimiques auxquels sont soumis les salariés. En les exposant au grand jour, la jeune praticienne découvre également les contraintes s'appliquant à sa discipline, à savoir les pressions que peut exercer une direction pour passer outre le diagnostic de certaines pathologies professionnelles. Elle ne se laisse pas impressionner et fait face. Quitte à s'exprimer haut et fort en réunion de CHSCT pour que les salariés obtiennent gain de cause.
Aujourd'hui, sa pugnacité est intacte. Son indignation aussi. Il faut dire que "les conditions de travail sont loin de s'être améliorées", observe-t-elle. Au service interentreprises de santé au travail des Deux-Sèvres, qui l'emploie depuis son retour au pays en 1990, des salariés d'Axa se sont par exemple plaints, récemment, du stress dont ils étaient victimes. Les commerciaux de l'assureur subissent un tel "lavage de cerveau" que tous ont des troubles de santé. "Certains ont d'inquiétants symptômes gastriques, d'autres ont énormément grossi et tous dépriment", relève-t-elle, navrée. Par son engagement politique, Françoise Mesnard entend justement agir en amont du constat sanitaire : "Comment la société peut-elle se contenter de soigner les pathologies sans se préoccuper d'en connaître la cause réelle et sans se donner les moyens d'agir pour en prévenir la survenue ? Allons-nous encore longtemps nous voiler la face devant les dégâts humains occasionnés par le travail ?"
"Donner de la visibilité aux maux"
Parfois, soutient-elle, les entreprises ne sont pas conscientes des dangers qu'elles font encourir à leurs personnels : "C'est pour cela qu'il faut donner de la visibilité aux maux et faire comprendre les liens entre santé et travail." C'est ce qui fut fait en 2006, lors du premier forum "santé et travail" organisé par la région sous l'impulsion de Françoise Mesnard. Dans ce cadre, les résultats d'une enquête sur les maladies à caractère professionnel (MCP) des travailleurs picto-charentais ont été rendus publics. L'étude a notamment révélé 628 pathologies et signalé au moins une MCP pour 565 salariés... Centré cette fois sur les actions concrètes menées en région, le deuxième forum, qui s'est tenu le 3 avril dernier, a permis de présenter des expériences initiées par les différents acteurs de la prévention en entreprise. Une façon de signifier qu'un dialogue entre les parties est possible afin de réduire les risques professionnels.
L'option politique comme axe d'action pour cette mise en visibilité, Françoise Mesnard en a fait résolument le choix en se rapprochant des socialistes. Quand elle devient adjointe au maire socialiste de Saint-Jean-d'Angély en 1995, elle est sans étiquette. Deux ans plus tard, elle milite au PS. Parce qu'elle est une "femme de gauche, défendant des valeurs de solidarité et d'égalité" et parce que "c'est le seul parti de gauche capable de mener un projet de transformation sociale", confie-t-elle.
Afin d'inscrire ses intentions en faveur de la santé au travail dans un projet politique concret, elle entame également une formation de 3e cycle à Sciences Po Paris, en gestion des transformations sociales. Elle fréquente régulièrement la rue de Solférino et propose aux responsables socialistes la rédaction d'un rapport sur la santé au travail. Au moment d'exposer les conclusions de sa "première oeuvre politique", intitulée Propositions de réformes du système de santé au travail en France, la déconvenue est de taille : "Les membres du groupe me regardaient comme une extraterrestre. Ils me trouvaient sympathique, mais cela ne semblait pas les concerner", se souvient-elle avec une amertume amusée. Au Nouveau Parti socialiste (NPS) dirigé par Arnaud Montebourg, qu'elle rejoint plus tard, la santé au travail ne suscite pas plus d'intérêt.
Trait d'union
L'audience la plus attentive a été celle que lui a réservée Ségolène Royal, admet avec reconnaissance Françoise Mesnard. Pourtant, les débuts de la relation entre les deux femmes n'ont pas été faciles, car le NPS, courant minoritaire, n'était alors pas très bien vu chez les socialistes. Au fil du temps, la confiance s'est installée, dit-elle : "Nous avions en commun certaines valeurs, et le souci d'impliquer les citoyens dans le débat."
Conseillère régionale en charge des questions de santé en 2002, elle obtient la vice-présidence deux ans plus tard. Si ses responsabilités augmentent, elle ne délaisse pas pour autant les salariés qui défilent dans son cabinet médical de La Crèche. Certes, le rythme de ses consultations est moins soutenu qu'avant, elle ne s'y consacre plus que trois jours par semaine. Mais au besoin, elle dépanne : "Si je ne peux pas assurer une visite, je sais que je peux compter sur elle", souligne sa consoeur Soazig Rapinel. Et pour évoquer une question syndicale liée à la profession, cette dernière, déléguée de la CFDT, sait également vers qui se tourner : Françoise Mesnard avait occupé cette fonction avant elle.
Avec un pied dans le domaine du concret, grâce à la pratique médicale, et un autre dans l'espace politique local, la vice-présidente du conseil régional se considère comme un trait d'union entre salariés, entrepreneurs et préventeurs. "En leur permettant un échange sur la question du travail, les choses peuvent s'améliorer en Poitou-Charentes. En espérant aller plus loin peut-être un jour...", dit-elle. Plus loin... Françoise Mesnard aurait-elle des visées nationales ? Elle s'en défend, déclare ne pas être ambitieuse. Seulement, assure-t-elle, "si Ségolène Royal avait été élue présidente de la République, la santé au travail aurait été élevée au rang des préoccupations nationales C'est un sujet pour lequel elle me fait confiance. Donc j'aurais très certainement eu à plancher dessus". La suite sera peut-être pour 2012...