Fusion Aract-Anact : quelle place pour le paritarisme ?
L’intégration des associations régionales pour l’amélioration des conditions de travail au sein de l’Agence nationale du même nom inquiète les partenaires sociaux locaux, qui craignent de ne plus avoir voix au chapitre. Le personnel attend des réponses lui aussi.
Bouleversement en vue concernant les associations régionales pour l’amélioration des conditions de travail (Aract). D’ici le 1er janvier 2023, ces 16 structures exclusivement gérées par les partenaires sociaux vont devoir formellement se dissoudre afin de fusionner avec leur tête de réseau, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère du Travail, dont la gouvernance est cette fois tripartite, associant l’Etat et les partenaires sociaux.
Cette fusion, inscrite dans la loi du 2 août 2021 sur la santé au travail (article 38), constitue une réponse à la Cour des comptes, qui estimait en 2019 que le statut des Aract – des associations de droit privé et non des établissements publics – posait un problème du point de vue des règles de la commande publique. Pour les Aract – dont le statut a été conforté par un décret du 31 juillet 2015 –, la fusion entraîne une évolution profonde. « Elles vont perdre leur identité d’association », explique Alain Salomé, administrateur CFTC de l’Aract Hauts-de-France.
Montée au créneau
Depuis fin 2019, l’Agence nationale et les associations régionales se concertent sur une « charte de fonctionnement », qui vise à « identifier les préoccupations des parties prenantes », rappelle le directeur général de l’Anact, Richard Abadie. Consultés sur la fusion, les partenaires sociaux sont montés au créneau pour protéger leur autonomie. « A l’U2P, nous nous montrons extrêmement vigilants sur le fait de rester des structures de dialogue social et territorial, au service des entreprises et des salariés », précise Laurent Baudinet, représentant de l’Union des entreprises de proximité et administrateur de l’Aract Nouvelle-Aquitaine.
Les associations régionales revendiquent les avantages de leur autonomie actuelle. « On pratique un vrai paritarisme de projet qui fonctionne extrêmement bien, signale Michel Vigier, administrateur de l'Aract Occitanie et représentant du Medef. On a un conseil d’administration et un comité d’orientation qui compte notamment des universitaires de haut niveau ». « Avec nos partenaires financiers locaux, nous ne sommes pas dans une logique de commande, mais de subvention de fonctionnement. Grâce à cela, nous avons pu être très innovants », soutient aussi François Bidet, administrateur CFDT de l’Aract Centre. En plus de l’Anact, qui leur verse des subventions, les associations régionales sont financées par des partenaires locaux, notamment les conseils régionaux et les directions régionales de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (Dreets).
Face au projet de fusion, les Aract réclament en particulier le maintien d’une instance paritaire régionale, représentant les partenaires sociaux et locaux. « On revendique d’avoir un levier de décision sur les réaffectations des financements et les orientations des projets, les ressources et expertises qu’on mobilise », déclare Agnès Gerber, présidente Medef de l’Aract Grand Est. « Il faut que les financeurs locaux puissent avoir leur retour sur investissement, sinon il y a des chances qu’ils se désengagent », estime Alain Salomé. « Il faut arriver à négocier que les futures entités régionales aient la capacité de contractualiser », ajoute François Bidet. La solution juridique visant à garantir ces acquis n’est pas stabilisée. De son côté, Richard Abadie se veut rassurant : « L’intégration ne sera pas synonyme de centralisation. Nous avons la volonté de conserver l’ancrage territorial et paritaire. » Mais c’est le ministère du Travail qui, dans un décret, tranchera sur les détails de la gouvernance future, en tenant compte d’un rapport à paraître de l’Inspection générale des affaires sociales.
Des inquiétudes chez les salariés
Les interrogations des administrateurs des Aract sont partagées par les représentants du personnel de ces structures. « Il y a des questions sur les marges de manœuvre pour monter des projets locaux, et la manière dont les projets nationaux seront déployés. Les petites associations ne peuvent pas traiter tous les sujets », souligne Armand Joly, représentant au CSE de l’Aract Nouvelle-Aquitaine. Comme le temps presse, les élus du personnel réclament de la visibilité sur la future organisation du travail. La fusion va modifier l’activité des fonctions support des associations régionales, selon Armand Joly : « Comme les établissements publics fonctionnent avec des règles de gestion différentes, cela pose la question de la montée en compétences. » L’Agence nationale, qui comptait 75 équivalents temps plein (ETP) en 2019, va tripler de taille avec l’intégration du personnel des Aract, passant à 255 ETP. « On a de vraies interrogations sur comment on va travailler ensemble », pointe un élu CFDT du comité technique de l’Anact.
Si la fusion n’a pas pour finalité de réduire les effectifs, « rien ne nous dit qu’une prochaine loi de finances ne nous obligera pas à réduire la voilure », pointe un élu CGT du comité technique de l’Anact, qui réclame une réflexion sur l’évolution du plafond de postes de titulaires, en baisse depuis des années. « A chaque contrat d’objectifs et de performances, on se voit confier de nouvelles thématiques. On est en surchauffe depuis un certain nombre d’années. Or on ne fait pas de ce projet l’occasion de construire autre chose », regrette-t-il.