"Gare au cercle vicieux des mauvaises conditions de travail"
Constatez-vous une augmentation des inaptitudes médicales ?
Jean-Michel Sterdyniak : C'est difficile à dire. Mais nous sommes de plus en plus sollicités par des salariés en souffrance au travail qui souhaitent, par le moyen de l'inaptitude, sortir d'une situation intenable. Les contraintes de l'entreprise ont atteint un point jamais connu et, surtout, le salarié se retrouve seul. Il se tourne vers sa seule bouée de sauvetage : le médecin du travail. C'est un traitement médical d'une question plus sociale que médicale.
Le médecin du travail peut-il attester du lien avec le travail ?
J.-M. S. : Si, par ma connaissance de l'entreprise et l'écoute des salariés, je suis en mesure de dire que les problèmes de santé que je constate sont en relation avec les conditions de travail, je l'écris à l'employeur afin que des solutions soient proposées. Je peux aussi soulever le problème en CHSCT. On peut comprendre que tous les médecins n'interviennent pas ainsi, soit parce qu'ils estiment ne pas avoir d'éléments tangibles, soit par crainte d'ennuis. Si le Conseil de l'ordre sanctionne les médecins du travail actuellement attaqués par des employeurs pour avoir rédigé des certificats attestant des liens entre organisation du travail et effets sur la santé psychique de salariés, les médecins du travail seront encore moins enclins à agir. Pourtant, alerter l'employeur, informer le salarié des risques et lui faciliter l'obtention des avantages sociaux auxquels son état lui donne droit sont des obligations imposées au médecin du travail par le Code de déontologie et/ou par le Code du travail. Il serait paradoxal de leur reprocher de s'y conformer. Il est vrai que la parole du médecin est de plus en plus écoutée par les juridictions prud'homales.
Y a-t-il d'autres moyens pour signaler des risques ?
J.-M. S. : Le dossier médical est là pour retracer les constats, observations et décisions du praticien. Le médecin doit y motiver ses décisions. Il n'est pas sûr qu'il soit tenu selon les recommandations très fournies de la Haute Autorité de santé. Sur le plan collectif, il y a surtout la fiche d'entreprise, que le médecin rédige, de même que ses rapports annuels et divers écrits. Sur le reste, la réglementation est mal respectée. Le médecin peut donner son avis sur le document unique d'évaluation des risques, mais celui-ci reste trop souvent formel et sans suite. Les fiches d'exposition individuelles ne sont pas faites ou très mal.
Comment favoriser le maintien dans l'emploi ?
J.-M. S. : Il faut améliorer significativement les conditions de travail. Plus elles sont mauvaises, plus elles sont usantes et plus elles rendent le reclassement difficile. Dans une TPE où un manutentionnaire a une hernie discale, l'employeur argue qu'il ne peut reclasser parce qu'il y a trop de manutention. C'est le cercle vicieux des mauvaises conditions de travail ! Ça peut être différent, comme dans certains pays scandinaves. Idéalement, il faudrait concevoir les postes de façon à ce qu'ils puissent être occupés par les salariés quel que soit leur âge ou leur état de santé. Il faut aussi favoriser la formation tout au long de la vie. Le salarié jeune peut se voir proposer une formation-reconversion, le salarié de 58 ans acceptera d'être licencié en attendant la retraite, mais celui de 53 ou 55 ans... Le chômage après 50 ans avec des problèmes de santé, c'est une vraie catastrophe sociale, qui n'est pas traitée à sa juste mesure.