Le Giscop 93 affiche son bilan
En quinze ans, le Giscop 93 a permis de mieux connaître les expositions professionnelles à des cancérogènes et a accompagné dans leur démarche d'indemnisation des centaines de patients atteints d'un cancer lié au travail. Sa nouvelle priorité : la prévention.
Créé en 2002, le Giscop 93 n'est pas né par hasard en Seine-Saint-Denis : "Les inégalités face aux cancers témoignaient d'une situation clairement préoccupante dans le département", se souvient Annie Thébaud-Mony, initiatrice et première directrice de ce Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle. Comme l'expose la sociologue, "ce dispositif de santé publique a un triple but : connaître les situations de travail exposant aux cancérogènes ; faire un suivi rigoureux des cas pour lesquels une reconnaissance en maladie professionnelle est envisageable ; enfin, faire des résultats obtenus des outils pour la prévention afin d'arrêter l'épidémie de cancers professionnels".
Les hôpitaux Avicenne, Robert-Ballanger et Le Raincy-Montfermeil ainsi que la Fédération interhospitalière d'urologie de Seine-Saint-Denis adressent leurs patients atteints de cancers au Giscop 93. "Dans cette méthodologie, la seule qui apporte des connaissances sur les conditions de travail réelles, on fait décrire au salarié toutes les phases de son activité et ses postes, sans lui demander directement à quels produits il a été exposé, ce que généralement il ignore", explique Christophe Coutanceau, sociologue du Giscop 93. Ces parcours sont soumis à un collège d'experts (médecins du travail, toxicologues, hygiéniste industriel, contrôleurs de prévention, membres de CHSCT, etc.) qui identifie (ou non) le ou les cancérogènes présents en se basant sur une liste de 55 agents classés "cancérogènes avérés" par le Centre international de recherche sur le cancer ou l'Union européenne
"Une injustice criante"
L'étude des données recueillies a révélé que, parmi les malades, 90 % des hommes et 64 % des femmes avaient été exposés à au moins un cancérogène, mais aussi que 80,8 % des hommes et 37,6 % des femmes l'avaient été à au moins deux. "C'est d'autant plus préoccupant qu'il n'existe pas, actuellement, de tableau de reconnaissance en maladie professionnelle prenant en compte une polyexposition", déplore Benjamin Lysaniuk, le directeur du Giscop. Annie Thébaud-Mony renchérit : "C'est absurde et d'une injustice criante, parce que le fait d'être exposé à plusieurs cancérogènes conduit manifestement à une probabilité plus grande d'être atteint d'un cancer." Les travaux ont en outre permis de mettre en évidence la surreprésentation des activités de nettoyage et de maintenance, et celle des personnes au parcours précaire. Loin de n'être qu'un regard sur les expositions passées, ces travaux font écho aux expositions d'aujourd'hui. "Nous avons appliqué la méthodologie Giscop à des salariés de l'enquête Sumer1 concernés par une ou plusieurs expositions à des cancérogènes "la semaine précédant l'enquête", ce qui a montré qu'ils avaient le même type de parcours polyexposé dans la durée", indique Véronique Daubas-Letourneux, professeure de sociologie à l'Ecole des hautes études en santé publique.
Depuis quinze ans, sept thèses dans différentes disciplines ont été menées à bien ou sont en cours dans le cadre du Giscop 93. En épidémiologie, elles ont analysé les écarts en termes de reconnaissance en maladie professionnelle selon les catégories socioprofessionnelles des patients, ainsi que le déficit de prise en compte du genre dans les études, qui conduit à sous-évaluer les cancers des femmes. Une thèse étudie les différences d'approches entre la médecine et le droit sur la causalité en matière de reconnaissance. Une autre en histoire et sociologie documente les traces d'exposition sur les lieux industriels anciens.
Localiser les expositions
Des recherches sont menées également en géographie. "La localisation des expositions peut être un outil de prévention des risques cancérogènes, tout comme une aide potentielle dans des démarches de reconnaissance en maladie professionnelle, souligne Benjamin Lysaniuk. Basias, l'inventaire historique des sites industriels, en recense une vingtaine présentant une occurrence "amiante" dans leur fiche, alors que les entretiens menés au Giscop ont permis d'en identifier plus de trois cents."
En 2014, contraint par des coupes budgétaires à réduire le champ de son action, le groupement s'est concentré sur les cancers urologiques. "Nous pensons que les cancers de la vessie d'origine professionnelle sont complètement sous-estimés, déclare Jean-Michel Sterdyniak, médecin du travail expert au Giscop. Il est intéressant d'apporter notre expertise à ce type de cancer très peu reconnu."
Le Giscop 93 accompagne les patients atteints d'un cancer d'origine professionnelle dans le parcours du combattant qu'est la reconnaissance. Pas moins de 602 certificats médicaux initiaux en maladie professionnelle ont été établis, 459 patients ont déclaré leur cancer en vue d'une reconnaissance et 351 d'entre eux, soit plus de trois sur quatre, ont obtenu gain de cause. "Le Giscop 93 apporte environ 25 reconnaissances sur 1 700 en moyenne par an au niveau national, précise Christophe Coutanceau. On peut estimer qu'il permet 30 % de reconnaissances en plus par rapport à d'autres départements, à activité et population comparables." En matière de prévention, un répertoire des activités exposant aux cancérogènes est en cours d'élaboration. "Le groupement a mené six missions de prévention en réponse à des appels d'offres ou en accompagnant des inspecteurs du travail entre 2005 et 2011, poursuit le sociologue. Dans notre prochain plan quadriennal, qui commencera en janvier 2018, nous plaidons pour que la priorité dans nos actions soit la prévention."
L'expérience essaime
Peu à peu, le Giscop 93 essaime. En 2012-2013, Véronique Daubas-Letourneux a coordonné Escales2 , un projet de recherche-action auprès des dockers de Nantes-Saint-Nazaire : "Notre méthodologie a permis de produire un rapport scientifique mettant en évidence une polyexposition de cette profession dans la durée." Des membres du groupement sont également intervenus auprès de France Télécom en Auvergne, à la demande de syndicalistes confrontés à des problèmes de santé liés à des parafoudres radioactifs. A Avignon, un Giscop 84 pourrait voir le jour en partenariat avec un service d'hématologie, afin notamment de mettre en lumière des pathologies des secteurs agricole et nucléaire.
Au niveau international, le Giscop 93 est associé à l'Institut syndical européen pour répondre à un appel à projets lancé par la Commission européenne. Par ailleurs, certains de ses membres, de par leur activité militante, par exemple au sein de l'association de lutte contre l'amiante Ban Asbestos, sont inscrits dans des réseaux internationaux. Benjamin Lysaniuk, quant à lui, vient de passer dix jours à étudier les impacts sanitaires d'une usine de broyage d'amiante en Colombie.
Nombreux sont les obstacles au travail du Giscop, tels que les difficultés à obtenir les archives des entreprises ou le refus de la Commission nationale de l'informatique et des libertés concernant l'élaboration d'un atlas des expositions. Mais les problèmes financiers demeurent la pierre angulaire pour un redéploiement de l'enquête permanente auprès des partenaires hospitaliers historiques et la pérennité d'une équipe déterminée.