Le gouvernement sort sa boîte à outils "travail"
Nouveau plan santé au travail, pénibilité, qualité de vie au travail : à l'occasion de la seconde conférence sociale, le gouvernement affiche sa détermination à améliorer les conditions de travail. Mais syndicats et experts sont dubitatifs.
Après la bataille de l'emploi, la croisade du travail ? La deuxième conférence sociale organisée par le gouvernement devrait accorder une place de choix au travail, avec trois sujets proposés pour la prochaine feuille de route : préparation d'un troisième plan santé au travail, prévention de la pénibilité et mise en oeuvre de la qualité de vie au travail dans les entreprises. Lors de la première édition de ce grand rendez-vous social, organisée en juillet 2012, le gouvernement avait quelque peu zappé les questions de santé et de conditions de travail. Quelques semaines après son arrivée au pouvoir, la priorité affichée était la lutte contre le chômage, avec l'annonce de plusieurs mesures : contrats de génération, emplois d'avenir, négociation sur la sécurisation de l'emploi... "Nous ne remettons pas en cause cette bataille contre le chômage, mais nous avons demandé que les conditions de travail figurent en bonne place dans cette nouvelle rencontre", confie Hervé Garnier, de la CFDT. Les partenaires sociaux ont été entendus.
"De la parole aux actes"
Dans son discours devant les membres du Conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct), le 14 mai, le ministre du Travail Michel Sapin a réaffirmé son ambition pour l'emploi, mais en se montrant très soucieux de la qualité du travail : "Il n'y a pas lieu de sacrifier la qualité du travail pour créer de l'emploi, bien au contraire." Si le discours a fait mouche auprès des syndicats de salariés, ceux-ci demandent désormais des actes. "Les intentions sont bien présentes, mais nous attendons de voir la motivation du gouvernement pour réellement avancer sur ces sujets", déclare Hervé Garnier. "Allons-nous vers un corridor humanitaire dans la guerre économique ou allons-nous faire en sorte que la santé au travail soit complètement intégrée dans les décisions et les stratégies ?", renchérit son homologue de la CGT, Alain Alphon-Layre.
Car, en un an, les partenaires sociaux n'ont noté aucune action forte dans ce sens. C'est parfois même l'inverse qui s'est produit. "Comment expliquer le soutien apporté par le gouvernement à Renault sur l'accord de compétitivité ?", s'interroge Fabien Gâche, délégué syndical central CGT du constructeur automobile. Son syndicat, non signataire, pointe l'augmentation du temps de travail de plus de 6 % et les modifications d'horaires qui se traduisent par une suppression de pauses, "cela dans une entreprise où un tiers des salariés exerçant sur les lignes de montage est déjà en inaptitude". Décalage aussi entre les ambitions affichées dans le projet de troisième plan santé au travail (améliorer le dispositif de veille et l'anticipation des risques, ou encore renforcer l'efficacité des démarches de prévention dans les entreprises de toutes tailles et de tous secteurs) et une situation plus que préoccupante. "Nous sommes loin d'être à la hauteur des enjeux, juge Alain Alphon-Layre. L'augmentation de l'espérance de vie en bonne santé s'est arrêtée. Là encore, il est temps de passer des paroles aux actes !"
"Décision paradoxale"
Eric Beynel, de l'union syndicale Solidaires, souligne les ambivalences du gouvernement par rapport au rôle de l'Inspection du travail : "Si nous voulons obtenir des résultats pour préserver la santé des travailleurs, il est impératif de s'assurer du respect de la réglementation et de pouvoir, le cas échéant, sanctionner les contrevenants. Mais il y a aujourd'hui une reprise en main de l'Inspection du travail, à qui on demande de faire de l'accompagnement des entreprises."
Décalage encore entre les mots et les actes concernant les nouveaux dispositifs, qu'il s'agisse des emplois d'avenir pour les jeunes sans qualification ou des contrats de génération. "Les missions locales sont surtout pressées de faire du chiffre sur la signature des emplois d'avenir", constate Alain Alphon-Layre. Quant aux contrats de génération, ces binômes senior-jeune, le gouvernement a choisi de confier l'organisation de l'appui-conseil aux chambres de commerce et d'industrie, au détriment de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). "Décision plutôt paradoxale, alors que ce dispositif, qui suppose une bonne transmission des compétences entre senior et jeune, nécessite plus que tout autre de prendre en compte le travail réel", estime un consultant.
C'est d'autant plus surprenant que le ministère du Travail veut mobiliser l'Anact et son réseau régional pour promouvoir et diffuser la qualité de vie au travail. La mise en oeuvre de cette démarche est l'autre grand chantier sur lequel mise le gouvernement. Cependant, pour de nombreux spécialistes de la santé au travail, le concept de qualité de vie au travail est bien loin de faire consensus. "Avec cette approche, il est moins question de parler d'organisation du travail, d'individualisation de la performance, d'objectifs inatteignables et de mobilité forcée que d'amélioration du cadre de vie, de congé parental ou encore de conciliation avec la vie personnelle", détaille un économiste spécialiste des conditions de travail.
"Accepter un travail ni fait ni à faire"
Pour certains observateurs, la conférence sociale repose sur le postulat implicite selon lequel la performance économique et la santé au travail sont deux sujets distincts. "Les travaux engagés dans ce cadre sont restés enfermés dans cette impasse, explique Yves Clot, professeur de psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers. Au nom de cette conception de la performance, reposant sur des objectifs formels, nous continuons d'accepter un travail ni fait ni à faire. On active ensuite la qualité de vie au travail, qui intervient comme une politique compensatoire des dégâts." Selon François Daniellou, professeur d'ergonomie à l'Institut polytechnique de Bordeaux, l'absence de prise en compte du travail réel est pourtant à l'origine d'un important gâchis économique : "Dans les PME, 20 % des investissements se font en pure perte, faute d'avoir abordé le sujet du travail à la source, parce que les concepteurs, les maîtres d'ouvrage et les utilisateurs ne se sont pas parlé au préalable." Chez Renault, Fabien Gâche a calculé que ce "mal-travail" se traduisait sur des lignes d'usinage par un taux de rebut de l'ordre de 18 %.
Cet aveuglement commence à susciter des doutes par rapport à la méthode même de ce rendez-vous annuel, de ces plans et de leur efficacité. "Les partenaires sociaux sont placés dans une position de réparation sans pouvoir agir sur la cause des dégâts", affirme Yves Clot. Arnaud de Broca, de la Fnath (Association des accidentés de la vie), interroge la place de l'Etat dans ce dispositif social : "Certains sujets, comme l'indemnisation des victimes du travail, restent toujours absents. D'autres n'avancent pas, comme la négociation sur l'emploi des handicapés, qui avait été annoncée lors de la première conférence en 2012 mais n'a toujours pas démarré. Il faut que l'Etat soit plus directif et reprenne la main plus rapidement, sinon cela traînera en longueur, comme cela s'est produit pour la pénibilité." La volonté d'avancer vite existe pourtant, comme l'a montré le traitement du dossier de la sécurisation de l'emploi, bouclé en quatre mois. Mais il faudra désormais plus que des mots pour qu'en matière de santé et conditions de travail le gouvernement parvienne à convaincre.