Emmanuelle Cambois : "Une hausse inattendue des incapacités parmi les 50-65 ans"
Cette chercheuse de l'Institut national d'études démographiques constate que certaines formes d'incapacité fonctionnelle se sont récemment accrues parmi les 50-65 ans, en particulier chez les femmes. Elle avance des explications.
Pourquoi s'intéresser particulièrement aux indicateurs d'espérance de vie en bonne santé pour les 50-65 ans ?
Emmanuelle Cambois : La surveillance de la santé des Français est essentielle pour la planification des soins. Avec le vieillissement de la population, l'attention a porté sur les plus de 65 ans, pour prévoir les besoins de prise en charge de la perte d'autonomie. Depuis quelques années, les enjeux autour d'un "vieillissement actif" ont pris de l'ampleur, avec pour objectif le maintien le plus longtemps possible de la participation à la vie sociale et au marché du travail. Cela conduit à observer aussi la bonne santé fonctionnelle des 50-65 ans, dans la dernière ligne droite de leur activité professionnelle.
Que font apparaître les données, notamment pour les femmes de cette tranche d'âge ?
E. C. : En 2008, l'espérance de vie à 50 ans était de 30 ans pour les hommes et de 36 ans pour les femmes. Avec une espérance de vie plus longue, les femmes vivent en moyenne plus d'années de mauvaise santé que les hommes : 54 % de l'espérance de vie des hommes et 62 % de celle des femmes sont vécues avec des limitations fonctionnelles physiques ou sensorielles (problèmes à marcher, à entendre, etc.).
Une partie de ces gênes induit des restrictions dans les activités générales, qui occupent 40 % de l'espérance de vie à 50 ans des hommes, contre 50 % de celle des femmes.
Si les années d'incapacité sont majoritairement vécues aux âges élevés, plus d'un quart des années à vivre entre 50 et 65 ans le sont avec ces limitations d'activités. On constate d'importantes inégalités selon la catégorie socioprofessionnelle : les hommes et femmes cadres vivent en moyenne 12 ans sans incapacité entre 50 et 65 ans, contre 9 pour les ouvriers et 10 pour les ouvrières. Par ailleurs, nos dernières estimations indiquaient une augmentation inattendue de certaines formes d'incapacité parmi les 50-65 ans dans les années récentes, et ce, particulièrement chez les femmes.
Quelles explications peut-on donner à cette évolution récente ?
E. C. : Nous pouvons formuler des hypothèses, mais il faut interpréter ces chiffres avec prudence. D'abord, parce qu'ils reposent sur des données déclaratives : l'augmentation des connaissances et des attentes en matière de santé peut produire une prise de conscience plus forte des troubles, qui seraient dès lors davantage exprimés que dans les générations précédentes. Par ailleurs, les progrès médicaux ont permis une plus grande survie de personnes atteintes de maladies invalidantes. Toutefois, l'expansion des années d'incapacité s'explique aussi probablement par une augmentation de certains risques. Des facteurs tels que la consommation de tabac et le surpoids se sont accrus dans ces générations, en particulier chez les femmes.
L'incapacité est aussi liée aux conditions de travail et aux difficultés rencontrées par une partie de la population sur le marché du travail, notamment en fin de carrière. Les femmes de 50-65 ans se caractérisent par leur arrivée massive dans l'emploi, avec des conditions de travail et des trajectoires particulières qui peuvent les avoir exposées à des altérations fonctionnelles différemment que les hommes. De plus, pour celles qui ont travaillé, de possibles tensions organisationnelles entre vie familiale et vie professionnelle peuvent contribuer à altérer la santé. Des travaux sont en cours pour évaluer le rôle des carrières et expositions professionnelles, familiales et domestiques sur la santé fonctionnelle, en étudiant notamment les différences entre hommes et femmes.
"Tendances et disparités d'espérance de vie sans incapacité en France", par Emmanuelle Cambois et Jean-Marie Robine, Actualité et dossier en santé publique (ADSP) n° 80, septembre 2012.