Henri Desoille, un bâtisseur de la médecine du travail
Ce médecin légiste figurait, en 1934, parmi les premiers diplômés en médecine du travail. Une discipline à laquelle il vouera sa longue carrière. Il est ainsi l'artisan de la loi fondatrice de 1946, qui a organisé les services médicaux du travail.
Par sa carrière entièrement consacrée à la santé au travail, Henri Desoille est une des grandes figures de la médecine du travail. Son parcours universitaire et professionnel est étroitement imbriqué dans le processus de construction de la nouvelle filière universitaire, ainsi que dans l'élaboration et l'institutionnalisation du système de surveillance de la santé au travail qui s'y adosse.
Etudiant à la faculté de médecine de Paris, Henri Desoille, né avec le siècle, est admis en 1926 à l'internat des Hôpitaux de Paris et fait le choix de la médecine légale. Diplômé en 1932, il est reçu, quatre ans plus tard, à l'agrégation de cette spécialité. Son cursus universitaire témoigne du pouvoir d'attraction de la médecine légale auprès des étudiants et jeunes médecins qui forment le cercle des pionniers de la médecine du travail des années 1930. Il révèle également le rôle catalyseur de la médecine légale dans l'émergence et la reconnaissance de la médecine du travail. Comment expliquer ce lien privilégié quelque peu paradoxal ?
De fait, à la faculté de Paris, ce sont les professeurs de médecine légale, Victor Balthazard (1872-1950) et Maurice Duvoir (1880-1948), qui initient les étudiants aux maladies professionnelles et aux accidents du travail, mais aussi aux questions d'hygiène industrielle depuis que le Dr Léon Bernard, titulaire de cette chaire, a cédé ces enseignements à son collègue Duvoir dès le début des années 1920. La médecine légale a ainsi regroupé en son sein les enseignements de différentes disciplines autour desquelles s'est forgée la médecine du travail.
Dynamique collective
En 1933, à l'instigation des Prs René Fabre et Maurice Duvoir et avec le soutien du doyen Victor Balthazard, est créé l'Institut d'hygiène industrielle et de médecine du travail, qui propose un cours de perfectionnement menant à un diplôme1 . Henri Desoille saisit l'opportunité : il s'y inscrit et, un an plus tard, figure parmi les dix lauréats de la première promotion.
Si la fondation de l'institut est une étape importante dans la construction de la médecine du travail, cette jeune discipline reste fragile. Une dynamique collective se déploie alors pour lui donner une assise professionnelle et scientifique solide. A peine diplômés, les médecins se dotent donc d'un organe de représentation : la Société médicale des hygiénistes du travail et de l'industrie (SMHTI). Le Dr Feil la préside, Henri Desoille en assure la vice-présidence. Elle prend vite de l'importance, de nouveaux diplômés venant chaque année grossir ses rangs : trois ans après sa création, elle compte déjà 70 membres. Elle est un lieu de réflexion collective et de discussion des principes d'organisation de la médecine du travail, au cours de séances d'étude.
La marque de la déportation
Par ailleurs, trois organes de presse spécialisés voient le jour, au sein desquels les pionniers de la médecine du travail s'impliquent afin de diffuser les connaissances. Le plus ancien, né à Lyon en 1929, a pour titre La médecine du travail, vocable qu'il est le premier à utiliser. Le deuxième, Le médecin d'usine, fait suite au Bulletin de la SMHTI à partir de 1938. La même année naissent les Archives des maladies professionnelles, la seule de ces publications survivant à ce jour, dont Henri Desoille assume le secrétariat scientifique.
Enfin, de grandes rencontres sont organisées. Les Journées internationales de pathologie et d'organisation du travail se déroulent sur six jours pendant l'Exposition universelle de 1937, puis sur quatre jours à l'occasion de celle de 1939. Le Pr Balthazard préside les premières, l'ancien directeur du Travail Charles Picquenard, les secondes, tandis qu'Henri Desoille se charge du secrétariat des communications et des rapports.
La dynamique de cette génération pionnière est brutalement interrompue par la guerre. Henri Desoille en reviendra avec les honneurs, en l'occurrence la croix de guerre. Sous l'Occupation, il s'engage dans la résistance universitaire, comme beaucoup d'autres médecins. Il apparaît à plusieurs reprises dans les colonnes du Médecin français, un journal clandestin fondé début 1941 par des médecins juifs et communistes français et qui restera en activité jusqu'en 1952. Mais il est arrêté en avril 1942, déporté en 1943 à Sarrebruck puis Mauthausen. Il est libéré en mai 1945. "Notre déportation, la vue directe de ce que pouvait être un travail dépassant les limites permises, nous a fait prendre une conscience plus profonde de la souffrance humaine", déclarera-t-il. De son expérience de la résistance et de la déportation, il sort plus déterminé que jamais à mettre en place une médecine du travail empreinte de cette conscience.
Henri Desoille est alors appelé à des responsabilités importantes. De 1945 à 1948, il exerce les fonctions de médecin-inspecteur général du travail et contribue activement, avec l'aide d'un autre ancien déporté, le Dr Descomps, à l'élaboration de la loi du 11 octobre 1946 relative à l'organisation des services médicaux du travail. Cette loi renoue avec les réflexions menées avant-guerre sur certains grands principes en la matière, dont elle rend l'application obligatoire. Elle établit ainsi que le rôle du médecin du travail est "exclusivement préventif" et "consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant les conditions d'hygiène du travail, les risques de contagion et l'état de santé des travailleurs". Pour que la mise en pratique de la réglementation ne soit pas entravée, elle définit de façon précise les tâches de surveillance médicale et technique du médecin du travail. Henri Desoille préconise d'aller au-delà et de répartir par moitié les deux missions de surveillance, anticipant ainsi une évolution vers le tiers-temps.
Comprendre la condition ouvrière
A la mort du Pr Duvoir en 1948, Henri Desoille est appelé à lui succéder à la direction de l'Institut de médecine du travail. L'année suivante, il devient le premier titulaire de la toute nouvelle chaire universitaire de médecine du travail, issue du dédoublement de la chaire de médecine légale et médecine du travail créée en 1945. Son discours prononcé lors de la séance inaugurale témoigne de la place centrale qu'il accorde à la compréhension des interactions entre l'ouvrier et le milieu de travail et à l'amélioration des conditions de travail. A ses yeux, le praticien a "le devoir de vivre les conditions de travail de ceux dont il surveille la santé et de quitter par moments la blouse pour revêtir la cotte de l'ouvrier et se rendre compte par lui-même de ce qui vient meurtrir la chair de son semblable".
Parallèlement à l'enseignement, Henri Desoille poursuit ses travaux de recherche et livre une publication scientifique très soutenue (plus de 600 textes !). Il est également l'auteur de plusieurs ouvrages, allant d'un épais Précis de médecine du travail - qui, publié en 1957, en était à sa 6e édition au moment de sa mort, en 1990 - à un Que sais-je ? sur la médecine du travail, paru pour la première fois en 1958. Il remplit en outre une mission de représentation collective au niveau national et international.
Pendant plusieurs décennies, Henri Desoille a ainsi mené de front plusieurs activités, toutes au service de la médecine du travail, sur laquelle il a inscrit durablement son empreinte.
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Voir "1934 : premiers diplômés en médecine du travail", Santé & Travail n° 78, avril 2012.