Henri Pézerat, toxicologue et militant : "Il était un service public à lui tout seul"

par Joëlle Maraschin / avril 2009

Décédé en février dernier, Henri Pézerat a été l'un des pionniers en France du combat contre l'amiante. Dans une démarche à la fois scientifique et militante, il a combattu jusqu'au bout l'exposition de salariés à des risques toxiques.

Scientifique reconnu et militant engagé, Henri Pézerat symbolisait le modèle du chercheur lanceur d'alerte. Il est décédé le 16 février dernier, à l'âge de 80 ans, après une lutte de toute une vie aux côtés des travailleurs exposés à l'amiante et à d'autres toxiques. "Il aura été un acteur majeur de la prévention contre les risques des produits chimiques, surtout en milieu de travail, sans oublier leur impact parfois néfaste sur l'environnement", témoigne André Picot, toxicologue et président de l'Association toxicologie-chimie. Né le 12 avril 1928, à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), diplômé de l'école de chimie de Lyon, Henri Pézerat était un spécialiste de la réaction de surface des minéraux. Il intègre le CNRS en 1968, après un bref passage dans l'industrie. Dans son petit laboratoire de l'université de Jussieu, à Paris, il met en évidence que la poussière blanche omniprésente dans les sous-sols de l'établissement n'est autre que du chrysotile, une variété d'amiante déjà dans le collimateur des toxicologues anglo-saxons pour ses effets cancérogènes. A partir du milieu des années 1970, le chercheur va alors consacrer une grande partie de sa vie à se battre contre le redoutable matériau.

 

Lutte citoyenne

 

Pendant des années, analyses physico-chimiques et biologiques à l'appui, il dénonce sans relâche les dangers des fibres d'amiante. "C'est une bataille qu'il a menée quasiment seul pendant des années, contre vents et marées, se souvient avec admiration Philippe Davezies, professeur de médecine du travail. Il a incontestablement été le premier à faire passer la connaissance scientifique des dangers de l'amiante dans le champ social." Car il faudra attendre janvier 1997 pour que la France se décide enfin à interdire l'usage de l'amiante.

Outre ses travaux scientifiques, le chercheur s'engage également dans une lutte citoyenne aux côtés des victimes de l'amiante. Une bataille qu'il mène avec la sociologue Annie Thébaud-Mony, très engagée elle aussi dans le combat contre l'invisibilité des cancers professionnels. Il est ainsi l'un des fondateurs de la branche française du réseau international Ban Asbestos, qui milite pour l'interdiction de l'amiante au niveau mondial. Il participe aussi à la création de l'Andeva, l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante.

N'hésitant pas à se déplacer pour soutenir les salariés exposés, Henri Pézerat apporte son expertise scientifique aux ouvriers de l'usine Amisol à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), aux mineurs de Lorraine ou aux militants de Nouvelle-Calédonie impliqués dans la reconnaissance des maladies de l'amiante. Mis en retraite du CNRS en 1992, il n'en continue pas moins son combat. "Henri aura éclairé de son savoir des tragédies qui seraient restées obscures à jamais [...]. Il était un service public à lui tout seul", souligne dans son blog le journaliste et écrivain engagé Fabrice Nicolino.

Henri Pézerat a été l'un des premiers à dénoncer les risques liés aux fibres céramiques réfractaires. Appelé comme expert par le CHSCT de l'usine Adisseo à Commentry (Allier), c'est encore lui qui révèle la responsabilité d'une substance, le C5, dans la survenue des cancers du rein des ouvriers du site. Pour les militants cégétistes de la société Alphacan, il avait dernièrement rédigé un rapport très fouillé sur les dangers des produits utilisés en plasturgie. Pilier de l'Association française des victimes du saturnisme (AFVS), il participait encore hier à la préparation d'une requête en Conseil d'Etat contre un décret restreignant la reconnaissance des maladies professionnelles dues au plomb.