Hervé Lanouzière : un bourreau de travail à la tête de l'Anact
Nouveau patron de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), il est attendu pour donner un nouveau souffle à l'institution, après avoir notamment piloté la cellule "risques psychosociaux" au ministère du Travail.
Nommé à 48 ans directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), Hervé Lanouzière n'aura pas la tâche facile. Mais celui que beaucoup qualifient de "bourreau de travail" ne craint pas le défi. Entré en fonction le 1er décembre, il arrive à un moment charnière, dans un contexte de renouveau du dialogue social porté par la conférence sociale de juillet, mais aussi dans une situation de crise au sein de cette institution tripartite (Etat, syndicats, patronat) créée en 1973. En 2010, la subvention triennale de l'Etat a été réduite de 15 %, après une absence de revalorisation du budget depuis 2007. La Cour des comptes a épinglé l'Anact, en janvier 2012, sur son "positionnement incertain" et ses "insuffisances de gestion". Et la conférence sociale a lancé un groupe de travail chargé de plancher sur son devenir quant à ses missions, sa gouvernance et son financement. L'Anact et son réseau marchent sur le fil du rasoir : "L'importance des enjeux nécessite que le nouveau patron soit attentif aux préoccupations des partenaires sociaux", observe un responsable du réseau. Certains voient des clignotants positifs dans la nomination de ce serviteur de l'Etat loyal, qui manque peut-être d'expérience du jeu politique mais ne compte pas son temps. Un homme de charisme et de conviction, "d'une extrême rigueur intellectuelle et d'une probité totale", ajoute Martine Millot, inspectrice du travail.
Fils d'un syndicaliste, épris de justice
Hervé Lanouzière commence sa carrière comme inspecteur du travail dans le Jura, puis à Dijon et à Chalon-sur-Saône, après des études de droit. Issu d'un milieu modeste, il a choisi cette voie parce que les questions d'équité sociale lui tenaient à coeur : "C'est quelque chose de fort dans ma famille, notamment chez mon père, conducteur de train, un homme de justice, un syndicaliste." Et il aime son métier : aller dans les entreprises, drapé de l'autorité publique, pour dire le droit et expliquer la finalité de la règle ; afin de parvenir à transformer les choses sur le terrain. Dès cette époque, il enregistre les plaintes de salariés angoissés, poussés à bout, et constate ce qu'on n'appelait pas encore le harcèlement moral et encore moins les risques psychosociaux. En 1998, il rejoint l'Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle pour rénover la formation des inspecteurs. Il y invite une journée Marie-France Hirigoyen, après la publication de son livre Le harcèlement moral"C'était une erreur d'appréhender le problème à travers les relations interpersonnelles, sans voir que les organisations pouvaient générer de la souffrance, reconnaît-il. Le travail m'intrigue profondément. Pourquoi et comment il peut être un facteur de développement de soi... La psychodynamique du travail a été pour moi une grande découverte, qui m'a beaucoup apporté." Dans un tout autre registre, il suit en 2002 un master 2 d'hygiéniste du travail au Conservatoire national des arts et métiers, afin de compléter un savoir qu'il estime "empirique"
La recodification, une mission à risque
Après avoir passé deux ans comme directeur adjoint à la direction départementale du Travail du Rhône, Hervé Lanouzière se voit confier en 2005 une mission, à la fois colossale et délicate, qui va lui prendre trois ans : participer à la réécriture du Code du travail. Objectif ? Rendre le droit du travail plus intelligible et accessible par une rédaction claire, sans toucher au fond. L'équipe des rédacteurs, entourée d'un comité d'experts et d'un autre réunissant les partenaires sociaux, a bien conscience de la difficulté du chantier : "Nous touchions à un monument d'histoire. Nous étions soupçonnés en permanence de réduire les droits des salariés. C'était dur à vivre et j'y ai laissé des plumes."
A la sortie du nouveau Code, en 2008, les critiques fusent. Comme celles de Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail, qui n'a pas changé d'avis depuis : "Des principes fondamentaux ont été modifiés, impactant la vie de milliers de salariés. Le comité des partenaires sociaux a été une façon de rouler les syndicats : ils se voyaient abreuvés d'une masse énorme de documents, sans avoir réellement les moyens de les analyser." Pour Martine Millot, au contraire, cette recodification a été effectuée à droit constant, à quelques points près : "Sur ces inflexions, les rédacteurs se sont expliqués clairement. Evidemment, le parallélisme établi entre les obligations des employeurs et celles des salariés a fait hurler ; on peut le regretter, mais pas leur en faire grief. C'est une traduction plus fidèle du droit européen, mais qui ne détricote pas le Code du travail."
Cela accompli, Hervé Lanouzière demeure à la direction générale du Travail (DGT) comme conseiller technique, à la sous-direction des Conditions de travail, sur les politiques de santé-sécurité. Eclate alors la crise à France Télécom, après une trentaine de suicides de salariés. Il coordonne les actions des inspecteurs du travail sur tout le territoire, dont les informations remontent au niveau central et redescendent. Sylvie Catala, inspectrice du travail aujourd'hui détachée à la Mairie de Paris, enquêtait au siège parisien de l'entreprise : "C'était une première. Cette mise en relation de toute l'Inspection a alimenté une base de données importante, qui m'a permis de construire un dossier très étayé. Je n'y serais certainement pas parvenue seule." Un rapport accablant pour l'opérateur, où sont mis en évidence les faits de harcèlement et de mise en danger de la vie d'autrui, sera remis au procureur de la République et conduira à la mise en examen du groupe, en tant que personne morale, en juillet 2012.
Puis Hervé Lanouzière pilote la cellule "prévention des risques psychosociaux", chargée de mettre en oeuvre le plan d'urgence décrété par le ministre du Travail, Xavier Darcos. Les grandes entreprises sont sommées de négocier et de présenter leur plan d'action. Avec, comme moyen de pression, la publication d'une liste pointant les bons et mauvais élèves. "Il a su positionner la DGT sur le risque psychosocial, juge un connaisseur du dossier. Et le rapport sur les accords d'entreprise n'a pas été complaisant."
"Professionnaliser le dialogue social"
En janvier 2012, Hervé Lanouzière change de trajectoire pour devenir coordinateur sécurité chez Aubert & Duval, la branche alliages du groupe minier Eramet. "Le terrain me manquait, et c'est aussi de là que je veux tenir ma légitimité", confie-t-il. Ce faisant, il trouve le temps de publier en juin Prévenir la santé et la sécurité au travail. Un ouvrage dans lequel il dit sa conviction d'une approche pluridisciplinaire, s'appuyant sur les connaissances en médecine du travail, droit, ergonomie, psychologie et sociologie. Le patron de l'Anact ne prend pas ses fonctions avec des idées toutes faites, mais avec une ambition : "L'institution doit démontrer son utilité, en affichant son savoir-faire et sa marque de fabrique. Mon expérience en entreprise m'a convaincu de la nécessité de professionnaliser le dialogue social pour améliorer les conditions de travail et la santé des salariés. Pour faire avancer les acteurs sur cette posture de coconstruction, l'Anact occupe une place majeure : non seulement elle apporte une méthodologie, mais, du fait de son paritarisme, elle n'est pas suspecte de porter un discours plus qu'un autre..."