Des hôpitaux regroupés "au forceps"
Pour raison d'économies, des groupements hospitaliers de territoire (GHT) ont été mis en place au 1er juillet. Sans concertation avec les personnels, qui craignent de nouvelles atteintes à leurs conditions de travail, déjà fortement dégradées.
Les suicides d'infirmiers se sont succédé au fil de l'été, au point de faire la une des médias. En cause, des sous-effectifs dans les établissements, une surcharge de travail, une baisse de la durée moyenne du séjour qui intensifie les tâches, une pression accrue pour réaliser plus rapidement les actes afin qu'ils demeurent "rentables", au risque de perdre de vue la prise en charge globale des patients, qui constitue pourtant le coeur du métier. Dans ce contexte, la création des groupements hospitaliers de territoire (GHT) soulève de vives inquiétudes chez la plupart des acteurs du secteur.
Prévus par la loi Touraine du 26 janvier 2016 relative à la modernisation de notre système de santé, les GHT ont fait l'objet d'un décret publié le 29 avril pour une mise en place dès le 1er juillet. Obligatoires - contrairement aux communautés hospitalières de territoires (CHT) -, les GHT rassemblent autour d'un "établissement support" plusieurs hôpitaux. Et ce, afin de rationaliser l'offre de soins en évitant les doublons (deux services d'orthopédie dans deux établissements rassemblés en un seul) et de mutualiser les activités dites "de support" (informatique, achats, blanchisserie, laboratoire, pharmacie, ménage, etc.). "Les périmètres de 135 groupements ont été dessinés, indique David Gruson, délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF). Ils doivent faire émerger des projets médicaux partagés à l'échelle des territoires pour mieux coordonner les parcours de prise en charge des patients. Notre objectif est centré sur la qualité des soins."
"Armes de restructuration massive"
La mise en place des GHT, qualifiés d'"armes de restructuration massive" par plusieurs syndicats, suscite des craintes dans un contexte de restrictions budgétaires encore accrues par l'annonce, en mars 2015, du plan d'économies Ondam1 2015-2017, qui vise une baisse des coûts hospitaliers de 3 milliards d'euros à l'horizon 2017. Si Jean-Christophe Berthod, directeur associé du cabinet d'expertise Secafi, considère qu'"il est encore trop tôt pour savoir si les inquiétudes sont fondées", il constate que les CHSCT n'ont pas été consultés. Or, souligne-t-il, "on ne peut réussir un groupement que si on est dans la concertation pour évoquer les impacts sur les conditions de travail et caler les modalités d'accompagnement du changement". Pointant eux aussi le manque de concertation en amont, de nombreux acteurs dénoncent une mise en place "à marche forcée", "au forceps", "à la hussarde".
Les GHT se traduiront-ils par des suppressions de postes ? "C'est l'un des objectifs inavoués de ces regroupements : réduire la masse salariale, comme l'impose le plan d'économies", juge Denis Garnier, chargé du secteur de la prévention des risques et des conditions de travail des personnels hospitaliers à FO Santé. La CGT estime que la disparition de plusieurs services à l'hôpital d'Avignon entraînera la fermeture d'environ 50 lits et la suppression de 140 postes. "Il faut bien mesurer que le plan Ondam et la recherche d'efficience sont antérieurs aux GHT, qui permettront de réaliser des économies par la mutualisation des achats et d'équipements, réplique David Gruson. Ces gains d'efficience ne pèseront pas sur le personnel." Mais le syndicat Sud rappelle que la mise en place de la CHT de Paris a entraîné la disparition de 60 postes et que, depuis cinq ans, 1 000 postes sont "dissous" chaque année à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) du fait de la création de groupes hospitaliers.
Mobilités
Le transfert des activités se traduira vraisemblablement par la mobilité d'une partie des effectifs, non prévue par les textes. "La création des GHT revient à faire des fusions qui ne disent pas leur nom, estime Jean Vignes, secrétaire général du syndicat Sud Santé Sociaux. Or, dans le cadre d'une fusion hospitalière, les personnels déplacés ont des possibilités d'indemnisation. Pour la CHT en psychiatrie à Paris, tous les personnels informatiques ont été mutés en un week-end à Sainte-Anne." Déplacements aux conséquences lourdes quand en région deux établissements peuvent être distants de plusieurs dizaines de kilomètres, voire d'une centaine... Par ailleurs, des agents devront passer d'un service support à un autre (par exemple, de l'informatique au financier). Cette mobilité fonctionnelle peut être aussi difficile à vivre, si ce n'est plus, que la mobilité géographique.
Ces mouvements vont nécessiter une harmonisation des organisations de travail parfois douloureuse. "J'ai vu la fusion de deux équipes de soins intensifs, l'une organisée en binôme suite à un accident mortel, l'autre refusant ce fonctionnement afin que chacun soit au courant des traitements de tous les patients, relate Catherine Allemand, du cabinet d'expertise Syndex. De même, en revenant à de grands pôles de chirurgie du "mou" et de chirurgie du "dur", on demande aux soignants, du jour au lendemain, d'être plus polyvalents, moins spécialisés. Cela entraîne souvent l'impression de ne pas pouvoir réaliser du bon travail, ainsi que la crainte de faire une erreur, cette crainte étant l'une des premières causes de départ de la profession des infirmières."
Les GHT peuvent aussi inciter à créer des pools de suppléance, où de jeunes soignants inexpérimentés effectuent des remplacements ; moins qualifiés, ils doivent être davantage encadrés par leurs collègues, qui voient leur charge de travail s'accroître d'autant. Beaucoup d'acteurs redoutent un nivellement par le bas de l'organisation du travail, avec la pratique des 12 heures journalières, néfastes pour la santé, le rappel sur repos en cas d'absence ou des effectifs restreints faute de normes par lit. "Ces changements vont être compliqués également pour les managers hospitaliers, remarque Jean-Christophe Berthod. Passer d'une équipe de trois à dix personnes sur plusieurs établissements et un territoire plus vaste, organiser ce travail de comparaison et d'harmonisation des pratiques ne s'improvise pas." Les syndicats demandent des accompagnements personnalisés. "Dans la phase initiale, le volet accompagnement était faible, reconnaît David Gruson. Le président de la FHF, Frédéric Valletoux, est intervenu pour en obtenir le renforcement. En mars, une enveloppe de 10 millions d'euros a été débloquée. Nous avons demandé que d'autres crédits soient octroyés avant la fin de l'année."
Moins de représentants
Autre préoccupation, la diminution de la représentation des personnels. Plus la structure est importante, moins il y a de représentants par agent. Par ailleurs, présage Catherine Allemand, "si un GHT compte 8 000 agents, le dialogue risque fort de se trouver paralysé, parce qu'à 40 ou 50 on discutera difficilement, en CHSCT, des réelles situations de travail et des risques professionnels qui y sont rattachés". Jean Vignes ajoute : "Un éloignement de l'endroit où se prennent les décisions liées au travail des personnels rendra beaucoup plus difficile la mobilisation, tout comme la saisie d'une administration qui se trouve à 100 kilomètres."
A défaut d'une concertation en amont, il reste à instaurer un dialogue social. Pour "agir contre la dégradation des conditions de travail des personnels soignants", la CFDT Santé Sociaux compte sur la conférence territoriale de dialogue social, instance représentative du personnel dont elle avait exigé la création et "dont l'une des attributions est l'organisation du travail dans les groupements". "Pour un GHT, on parle de projet médical commun, mais à aucun moment de projet RH commun, relève Jean-Christophe Berthod. Pourtant, une politique RH est absolument nécessaire pour gérer les enjeux en termes d'emplois et de conditions de travail pour les personnels hospitaliers."
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A ne pas confondre avec l'Ondam lui-même, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie voté chaque année par le Parlement.