"Il est essentiel qu'un bilan sans concession soit dressé"
Quelles sont les avancées et les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de la réforme des services de santé au travail interentreprises (SSTI) ?
Magdeleine Brom-Ruhlmann : Améliorer la prise en charge de la prévention des risques professionnels et de la santé des salariés par un travail en équipe ; impulser une démarche positive par la contractualisation au-delà de la simple application d'une réglementation : ces objectifs et principes constituaient une avancée... sur le papier. Mais sur le terrain, la mise en oeuvre de la réforme ne va pas de soi, notamment s'agissant de l'évolution du mode de gouvernance des SSTI. Par exemple, les élections de leur conseil d'administration (CA) sont souvent organisées par collège : les représentants employeurs élisent le président et les salariés le trésorier. Ce qui augure mal d'une gestion vraiment paritaire, lorsqu'il s'agit par exemple d'avoir une discussion sur les moyens ou sur les cotisations des adhérents. Et l'élection d'un salarié à la fonction de trésorier peut parfois ressembler à un "cadeau empoisonné".
Qu'en est-il des commissions médico-techniques (CMT) des SSTI qui préparent le projet de service ?
M. B.-R. : Ces dernières devraient être des commissions de professionnels, permettant une réelle coopération entre médecins, infirmiers, préventeurs, ergonomes, etc. Et ce, afin de définir les orientations et de préparer le projet de service. Mais trop souvent on constate un détournement du fonctionnement et de la vocation de ces instances. Le président du CA et le directeur du SSTI y siègent - quand ils ne président pas cette commission - pour contrôler et orienter les travaux. Il n'est pas rare qu'il soit demandé à la CMT d'avaliser un projet élaboré avec des consultants extérieurs ou des groupes de travail ad hoc, court-circuitant ainsi les médecins du travail, qui sont les seuls professionnels dont l'indépendance technique est garantie par les textes. Clarifier le fonctionnement de cette commission est indispensable.
Que peut faire l'Etat face à ces dysfonctionnements, avec des "pouvoirs régaliens faibles", comme le dit la Cour des comptes ?
M. B.-R. : La réforme réaffirme le rôle de l'administration dans le contrôle de la réglementation et dans la définition de la politique d'agrément des services de santé au travail. L'agrément est une condition sine qua non de la mise en place des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens entre les services, les Direccte et les Carsat [voir "Repères", NDLR]. Mais il est certain que cela constitue un pari volontariste reposant sur l'implication des partenaires sociaux. Ces derniers sont présents au sein des Carsat et dans les comités régionaux de prévention des risques professionnels, auprès desquels doit être présentée la politique d'agrément. Faute de cette implication, il faut se rendre à l'évidence : dans un contexte de graves déficits en médecins du travail, quel responsable de Direccte refusera ou retirera l'agrément d'un service qui dysfonctionne ? Il faut donc que chacun accepte de jouer le jeu et il est essentiel qu'un bilan sans concession de ce mode de fonctionnement soit dressé. Tout comme il est essentiel, dans le contrôle des effectifs maximaux suivis par les services, de raisonner par équipe et non en additionnant les médecins et les infirmiers. Le suivi des salariés relève bien d'un travail en équipe, aussi bien pour le suivi médical que pour l'action sur les conditions de travail.