" Il faut que justice soit rendue "
Pour Laurent Garrouste, animateur de la pétition lancée récemment par la Fondation Copernic sur la mortalité liée au travail, les employeurs qui négligent la santé et la sécurité de leurs salariés sont trop rarement sanctionnés.
La Fondation Copernic a lancé la pétition " Travailler tue en toute impunité : pour combien de temps encore ? ". Pour quelles raisons ?
Laurent Garrouste : On constate en France de fortes inégalités entre catégories socioprofessionnelles face à la mortalité. Un ouvrier a une espérance de vie inférieure de six ans et demi à celle d'un cadre. Et il risque dix fois plus de mourir prématurément d'un cancer. Le travail joue un rôle clé dans ces inégalités. Et les conditions de travail se sont détériorées ces dernières années. Aux pénibilités anciennes, essentiellement physiques, s'ajoutent les pénibilités mentales liées aux pressions marchandes, temporelles ou au stress. Résultat : un nombre toujours très important d'accidents du travail. Et, entre 1996 et 2005, une explosion des maladies professionnelles, passées de 13 500 à 53 000, avec notamment les troubles musculo-squelettiques et les affections liées à l'amiante. Or ces évolutions résultent de politiques d'entreprise. Pourtant, malgré la gravité de la situation, on constate une large impunité de la délinquance patronale en matière de santé et sécurité.
Que préconisez-vous ?
L. G. : D'abord, il faut que justice soit rendue, que les procédures pénales aboutissent, en particulier celles concernant le scandale de l'amiante, aujourd'hui en panne. Pour cela, il faut une volonté politique et des moyens, notamment humains, pour la justice. De ce point de vue, le procès pénal en cours à Turin, en Italie, suscite un espoir. Ensuite, il faut une loi sur la sous-traitance la limitant à un seul niveau et faisant peser la responsabilité en matière de santé et sécurité sur les donneurs d'ordre - les décideurs - et non sur les seuls sous-traitants en bout de chaîne. Il faut aussi renforcer les droits collectifs des salariés. Dans les entreprises de moins de 11 salariés, les plus nombreuses, le personnel doit disposer d'une représentation. Autre piste : assurer l'indépendance des médecins du travail vis-à-vis des employeurs par une gestion publique de la médecine du travail. Enfin, l'Inspection du travail doit disposer de moyens humains et juridiques suffisants pour remplir son rôle.
Quel est le rôle de l'Inspection du travail dans ce domaine ?
L. G. : La santé et la sécurité au travail constituent un axe majeur d'intervention de l'Inspection du travail. Celle-ci dispose d'outils efficaces, comme les décisions d'arrêt de chantier, permettant d'imposer aux entreprises la mise en conformité en cas de situation dangereuse. L'utilisation de ce dispositif explique en partie la chute du nombre des accidents mortels dans le BTP. Mais, à ce jour, un agent de contrôle ne peut pas, par exemple, ordonner l'arrêt d'une machine dangereuse. D'autre part, les moyens humains restent insuffisants. Le plan gouvernemental de développement de l'Inspection du travail tient du trompe-l'oeil. La réduction du nombre d'agents administratifs en charge de l'accueil du public risque de couper le lien direct indispensable entre l'Inspection et les salariés.
Enfin, les procès-verbaux dressés par les inspecteurs du travail sur les questions de santé et sécurité sont trop souvent classés sans suite ou jugés dans des délais qui leur ôtent de leur efficacité. En ce qui concerne les entraves aux institutions représentatives du personnel, il y a très peu de poursuites. Ce n'est manifestement pas une priorité pour beaucoup de magistrats. Pourtant, la capacité effective des salariés à exercer leurs droits collectifs est essentielle à la préservation de la santé et de la sécurité au travail.