"Il faut placer les entreprises devant leurs responsabilités"
Pour le député PCF des Bouches-du-Rhône Pierre Dharréville, rapporteur de la commission d'enquête parlementaire sur les maladies professionnelles, alléger les obligations des employeurs en matière de santé au travail ne servira pas la prévention.
Le travail réalisé par votre commission d'enquête n'a-t-il pas été un peu court-circuité par la mission confiée à Charlotte Lecocq, députée LREM du Nord, sur la refonte du système de prévention ?
Pierre Dharréville : J'ai eu le sentiment en effet que le gouvernement ne voulait pas trop nous laisser le champ libre. Il ne pouvait s'opposer au travail que je voulais engager, puisque c'était une initiative du groupe communiste à l'Assemblée nationale. Mais le débat sur la santé au travail est monté à un tel niveau d'incandescence au moment des ordonnances qu'il devait s'illustrer. Le rapport Lecocq, commandé par Matignon, devait être remis en avril dernier. Sa présentation a été reportée à la fin août. Aujourd'hui on en parle beaucoup, mais il ne peut être la seule base de discussion. Nos 43 propositions, remises en juillet, sont sur la table pour ouvrir des champs de débat que le gouvernement ne souhaitait peut-être pas aborder.
C'est-à-dire ?
P. D. : Il faut mettre en place des outils améliorant la connaissance des risques professionnels - des registres pour les cancers, par exemple - ou la traçabilité des expositions, comme un dossier médical personnel de santé au travail. Pour agir sur la prévention, il faut accroître la reconnaissance des maladies professionnelles, devant déboucher sur une intervention sur le poste de travail concerné, afin d'éradiquer le risque. Il faut aussi s'attaquer à la sous-estimation des risques, au mal-travail, aux organisations toxiques...
Existe-t-il des points de conciliation avec le rapport Lecocq ?
P. D. : Le postulat sur lequel se fonde le gouvernement, c'est qu'il y a trop de droits formels, par opposition aux droits réels. Le rapport Lecocq se place dans l'optique de rendre un service aux entreprises, supposées regretter de ne pas avoir un retour sur investissement suffisant. Mais on ne peut se contenter de desserrer l'étau et de convaincre les entreprises qu'avec de bonnes pratiques, elles seront plus performantes. On ne peut faire comme s'il n'y avait pas de contradiction entre les intérêts des salariés et ceux des employeurs. La santé au travail aura de bons effets pour les entreprises, tant mieux, mais l'objectif de santé doit primer. Il faut placer les entreprises devant leurs responsabilités.
Que pensez-vous de la fusion des organismes de prévention et de la création d'un guichet unique préconisées par le rapport Lecocq ?
P. D. : Pourquoi pas, si ce regroupement donne plus de force aux organismes publics existants, et si on n'en profite pas pour réduire leurs moyens ou leurs missions. Dans notre rapport, nous proposons un réseau unifié pour décloisonner les services de santé au travail. Voilà des points sur lesquels nous pouvons donc échanger et discuter. Mais pour moi, il n'est pas question d'écarter les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) ou de les dessaisir de leurs responsabilités.
Comment espérez-vous faire vivre vos 43 propositions ?
P. D. : Durant la discussion en vue du projet de loi sur la santé au travail annoncé par le gouvernement, je remettrai sur la table les préconisations cruciales de notre rapport. Je tenterai de profiter aussi des prochains débats parlementaires pour déposer des amendements. Ce rapport, à mes yeux, n'est pas un aboutissement, mais un point de départ.