Inalta s’attaque au mal-être de ses éducateurs jeunesse
Pour enrayer les risques psychosociaux, cette association de protection de l’enfance mise sur un comité de pilotage dédié, où managers et élus du personnel débattent des actions possibles. Tout en se heurtant aux difficultés du secteur, plombé par le manque de moyens.
Des mineurs en danger, des familles fragilisées et une souffrance qui rejaillit sur les salariés : la protection des enfants en grande difficulté est l’un des champs les plus exigeants du travail social. « Le métier nous consume humainement », prévient Barbara Boumard, directrice d’établissement chez Inalta, association de protection de la jeunesse qui opère en Mayenne, dans la Sarthe et dans le Maine-et-Loire.
Cette ancienne éducatrice spécialisée croise de longue date des salariés qui « dorment mal, éprouvent des difficultés à “couper” quand ils sont en vacances ou n’arrivent plus à se parler et à se livrer ». Travailleuse sociale dans cette structure, Aurélie Allain décrit « une charge mentale importante ». « Les enfants que l’on accompagne subissent des choses dures à entendre, témoigne-t-elle. On réalise des ordonnances de placement, ça crée beaucoup d’émotions. Si on n’apprend pas à s’en défaire, on peut vite mélanger la souffrance de l’autre avec la nôtre. » Les salariés d’Inalta se voient proposer chaque mois des séances d’« analyse de pratique » pour prendre de la distance, à l’aide d’un psychologue.
Des crises parfois aiguës
Fin 2014, l’association a décidé d’accentuer ses efforts, en impulsant une démarche plus large pour mieux prendre en considération les contraintes professionnelles. Après une sensibilisation des cadres et élus du personnel, un comité de pilotage « risques psychosociaux » (RPS) – aujourd’hui dénommé « qualité de vie et conditions de travail » (QVCT) – a été créé, associant la direction, des directeurs d’établissements et des élus du personnel. Son but : identifier des actions possibles en cas d’événements générateurs de mal-être pour les enfants comme pour les salariés, du déménagement d’un service à des crises plus aiguës. « Décès d’un jeune, grève très suivie, dénonciations contre un salarié… On a créé des mémos pour savoir comment réagir », illustre Delphine Williatte, élue CGT à la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) et membre de ce comité. Qui précise : « En tant que représentants du personnel, faire partie de ce copil nous permet de défendre les intérêts des salariés dans ces situations. »
« La force de ce comité est d’essayer d’adapter les diagnostics et les pistes d’action à nos métiers, avance Emmanuelle Le Gal-Mesme, responsable qualité de l’association. Sa limite, c’est qu’on ne sait pas toujours comment les établissements tiennent compte des mesures que l’on propose. » Inalta comprend une vingtaine d’établissements. « On a l’impression que les retours d’expérience ne sont pas retenus, afin d’éviter qu’une situation se reproduise ailleurs », regrette Sophie Leterrier, élue CFDT.
Chaque site possède un référent en charge du document d’évaluation des risques (DUER). « Ils jouent le rôle de relais et se réunissent une à deux fois par an pour échanger sur leurs pratiques », indique Sandrine Angel, directrice des ressources humaines d’Inalta. Sophie Leterrier constate toutefois des disparités : « Il y a des services où les DUER sont faits avec les salariés, d’autres où le référent le fait dans son coin. » L’élue salue en revanche l’organisation récente d’une mission par Inalta autour de ses travailleurs isolés, veilleurs de nuit ou agents d’entretien. « Une salariée était tombée tôt le matin alors qu’elle était seule. Si ça avait été grave, on ne l’aurait retrouvée que trois heures plus tard… », explique Sophie Leterrier. Les employés concernés se sont exprimés sur leurs besoins et des outils ont été testés – télécommande pour déclencher les secours en cas de danger, téléphone portable pour les veilleurs de nuit, etc. – dont un bilan devrait bientôt être fait.
Moins d’arrêts maladie, plus de turn-over
Sept ans après son lancement, la démarche de prévention des risques a-t-elle changé la donne ? « On constate entre 2020 et 2021 une baisse du nombre de jours d’arrêts maladie – en neutralisant les effets du Covid – et de déclarations d’accidents du travail, argue Sandrine Angel. Mais le lien de causalité avec les mesures prises reste compliqué à établir. » Le mal-être au travail n’a pas disparu. « Je n’ai jamais accompagné autant de salariés vers une rupture conventionnelle que cette année », affirme Delphine Williatte. Le secteur manque de moyens et connaît des problèmes de recrutement. « On pourra faire autant de “QVT” que possible, ça ne changera pas grand-chose tant qu’il y aura ces tensions », juge l’élue.
L’instabilité des équipes ajoute une difficulté. Après la crise sanitaire, de nouvelles sessions de sensibilisation aux RPS ont dû être organisées pour l’encadrement, renouvelé de moitié depuis 2014. Aurélie Allain a aussi vu sa fonction de référente DUER mise à mal par le confinement et un changement de direction dans son établissement. « Je n’ai plus de rôle depuis au moins un an, alors que ce travail m’a beaucoup plu, déplore-t-elle. Il faut se donner les moyens de le faire exister. L’idéal serait que l’association accorde du temps aux référents pour qu’ils s’attellent vrai- ment à la tâche, par exemple en évaluant une fois par trimestre comment les salariés se sentent. »
Malgré ces limites, la direction d’Inalta estime être parvenue à changer son approche des RPS. « On anticipe davantage quand de nouvelles équipes s’installent, dans une démarche plus préventive que corrective, en coopérant avec des ergonomes du travail, avance Sandrine Angel. On incite aussi les salariés à nous alerter sur un éventuel mal-être, avant que la situation se dégrade trop. Et je constate un travail de collaboration intéressant entre la CSSCT, les directions d’établissement et la DRH. » Ce que ne nient pas les syndicats. « La direction générale n’est pas fermée à ces sujets, commente Delphine Williatte, même s’ il manque encore du concret. »