Institutions : du rififi à l'INRS

par François Desriaux Alexandre Kas / avril 2008

L'Institut national de recherche et de sécurité est l'objet de tensions à propos de son rôle et de son indépendance dans la recherche en santé au travail. Pouvoirs des partenaires sociaux, reprise en main de la Sécu et du patronat sont au coeur des enjeux.

Ambiance tendue à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Même si chacun, au sein de la direction comme du conseil d'administration, s'emploie à minimiser le malaise, nombre de témoignages confirment que le climat est loin d'être serein. Déjà, il est plutôt rare, dans un organisme paritaire, que la présidence refuse d'en voter le budget. C'est pourtant ce qui s'est produit à l'INRS, le 29 octobre dernier, avec l'abstention des représentants du Medef sur le budget 2008. Et la réunion qui s'est tenue entre les partenaires sociaux, début décembre, a confirmé la dégradation des rapports entre le président Medef-UIMM, Joël Blomet, et le directeur de l'INRS, Jean-Luc Marié. Nous n'avons pu joindre aucun des deux protagonistes, mais des témoignages concordants indiquent que le premier aurait fait état de ses difficultés à travailler avec le second. " Tout le monde a compris qu'il cherchait un appui pour s'en séparer. Mais tous les administrateurs patronaux n'étaient pas d'accord et, pour les syndicats, le renvoi du directeur général n'était pas à l'ordre du jour ", relate un participant.

Seulement, si les symptômes sont avérés, le diagnostic est plus complexe et ne peut se résumer aux seuls antagonismes existant au sein du couple exécutif.

 

Repère : l'institut national de recherche et de sécurité

L'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) employait 660 personnes en 2006, dont 448 sur son site de Vandoeuvre-lès-Nancy, en Meurthe-et-Moselle. Ce site (voir photo) regroupe plusieurs laboratoires menant divers travaux de recherches sur des sujets émergents (risques psychosociaux, nanotechnologies, troubles musculo-squelettiques, cancérogenèse).

Pour commencer, l'élection de Joël Blomet, d'abord au poste de vice-président, ne s'est pas faite sans mal. Présentée une première fois en mars 2006 par le Medef, sa candidature a été rejetée à l'unanimité par les représentants des cinq organisations syndicales de salariés. Du jamais-vu à l'INRS. Motif : conflit d'intérêts avec les " fonctions civiles " du futur président de l'Institut, qui est patron de Prevor, une entreprise spécialisée dans la prévention du risque chimique, et membre influent du syndicat des fabricants d'équipements de protection individuelle... Tout rentre dans l'ordre au conseil d'administration suivant, en mai. A l'exception de la CGT, les représentants syndicaux ont reçu des consignes fermes pour désigner Joël Blomet.

Sans doute faut-il aussi classer au rang des rancoeurs personnelles le fait que le produit phare de Prevor, qui agit contre les brûlures chimiques, a reçu un accueil pour le moins mitigé de l'INRS... Au-delà de ces ressentiments, on trouve forcément des raisons plus politiques.

 

Répartition des rôles

" La visibilité que donne l'INRS à des dossiers comme les cancers professionnels ou le stress agace le Medef, qui considère que cela dessert l'image des entreprises ", résume un cadre de l'Institut. Une analyse que n'est pas loin de partager la CGT : " Je ne peux m'empêcher de relever la similitude entre ce qui se passe à l'INRS et ce qui s'est déroulé lors de la conférence nationale sur les conditions de travail en octobre dernier, où les représentants patronaux ont lancé une violente diatribe contre l'enquête Sumer1  ", relève Jean-François Naton, en charge du secteur conditions de travail de la centrale de Montreuil.

Les tensions au sein de l'INRS ne sont pas non plus sans lien avec la mise en oeuvre annoncée par le ministre du Travail, Xavier Bertrand, de l'accord sur la gouvernance de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la Sécurité sociale, la " maison mère " de l'Institut. Cet accord conclu en février 2006 par les trois organisations d'employeurs et la CFDT, la CFTC et FO, vise selon les signataires à renforcer le paritarisme dans la gestion de la branche. Le texte prévoit ainsi d'attribuer à la commission AT-MP (la CAT-MP), strictement paritaire mais présidée par le patronat, les mêmes compétences que celles dévolues au conseil de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam-TS), dont elle dépend aujourd'hui. Et même davantage, puisque cette commission serait également chargée de nommer le directeur des Risques professionnels de la Sécu. Bref, les partenaires sociaux entendent marquer leur territoire par rapport aux pouvoirs publics.

" Il faut être clair sur la répartition des rôles entre ce qui doit rester à la branche AT-MP et ce qui relève des missions de l'Etat en matière de santé publique. A titre d'exemple, il est de la responsabilité de l'Etat de mener à bien le projet Reach [sur l'évaluation du risque chimique, NDLR], via l'action de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) ", souligne Henri Forest, de la CFDT. Avant de reconnaître que, dans le cadre de l'accord de février 2006, " on peut effectivement s'interroger sur la nécessité d'avoir un conseil d'administration spécifique à l'INRS, alors que l'ensemble des financements de l'Institut viennent de la branche AT-MP et que ce sont les partenaires sociaux qui décident, au sein de la CAT-MP, des orientations de la branche et de ses priorités "

Une remise en cause de l'indépendance de l'Institut par rapport à la branche AT-MP que refuse Pierre-Yves Montéléon, vice-président CFTC de l'INRS, tout en convenant que certains représentants employeurs remettraient volontiers en cause son autonomie : " Il est indéniable que cette tendance-là existe, mais il n'est pas certain que cela soit la volonté de tout le Medef. " Reste que c'était probablement l'idée qu'avait en tête Joël Blomet avant son élection à la présidence de l'Institut. " L'INRS est une "filiale technique" de la branche AT-MP de la Cnam et doit oeuvrer dans ce contexte. C'est-à-dire pour servir ses objectifs ", peut-on lire dans un document rédigé par ses soins et dont Santé & Travail s'est procuré une copie.

Jean-François Naton porte un jugement plus global : " Le fait d'avoir accepté, dans l'accord sur la gouvernance de février 2006, de confier la présidence de la branche AT-MP au patronat concourt à déséquilibrer la démocratie et à remettre en cause la mise en visibilité des effets du travail sur la santé "

 

Veille et prospective

Un autre chapitre des tensions entre la direction et les administrateurs de l'Institut s'est écrit à l'occasion des débats qui ont accompagné l'adoption par le conseil d'administration (CA), en juin dernier, d'un document intitulé Principes et modalités de gouvernance de l'INRS et arrêté par les partenaires sociaux. Cette charte prévoit notamment la création d'une direction " spécialement dédiée à la veille et à la prospective " qui rende compte au conseil d'administration. " Nous voulons avoir plus d'éléments pour comprendre, faire notre boulot et assumer nos responsabilités, notamment par rapport à ce qui s'est passé pour l'amiante. L'INRS est sûrement le mieux placé pour analyser les risques émergents dans les années à venir ", justifie Pierre-Yves Montéléon. Seule la CGT n'a pas voté en faveur du document, mais Bernard Salengro, de la CFE-CGC, trace la ligne jaune à ne pas franchir : " En tant qu'administrateur, je souhaite davantage de pouvoir et d'écoute ainsi que des moyens pour assumer cette responsabilité. Pour autant, je ne veux pas de modification de fond, de structure, ni de direction. La CFE-CGC ne veut pas d'un service technique intégré à la CAT-MP qui serait piloté par le patronat ou par le ministère sous couvert du directeur de la Cnam. "

Mais au-delà du rôle des administrateurs dans le programme d'activité de l'INRS, certains, en interne, relèvent également des tiraillements avec la direction des Risques professionnels (DRP) de la Cnam-TS. La structuration du réseau des caisses régionales d'assurance maladie (Cram) en 39 champs coordonnés " aura forcément une influence sur l'activité de l'INRS ", souligne un cadre de l'Institut, alors qu'un de ses collègues déplore le peu d'intérêt de cette même DRP pour l'activité de recherche de l'INRS : " Nous sommes uniquement perçus comme une source de dépenses. Ce qui intéresse la DRP, ce sont les outils directement utilisables par les caisses régionales. " Une vision rejetée par le CA, selon Pierre-Yves Montéléon : " Syndicats et patronat considèrent que la recherche est un préalable aux applications. C'est la compétence développée dans la recherche qui permet l'appui technique aux Cram. "

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    Pour " Surveillance médicale des risques ".