Le jeu des 5 erreurs

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François Desriaux rédacteur en chef
/ juillet 2016

Eclipsée ! La réforme de la médecine du travail contenue dans l'article 44 du projet de loi travail a été marginalisée par la focalisation du débat social sur le fameux article 2 et la désormais célèbre inversion de la hiérarchie des normes. Pourtant, les conséquences de cette énième refonte de l'un des piliers de la santé au travail ne sont pas minces et compromettent encore un peu plus son efficacité. Et, surtout, les mesures qu'elle contient battent en brèche des principes solidement établis. A croire que, en écrivant cet article 44, le gouvernement a cherché à jouer au jeu des 5 erreurs.

La première est facile à trouver, car elle est de taille. Alors que le rapport de la mission Fantoni-Issindou-Ploton sur la médecine du travail, publié l'an dernier, avait enfin prôné l'abandon de la détermination de l'aptitude, celle-ci est maintenue pour tous les postes à risque particulier pour la santé et la sécurité du salarié, de ses collègues et des tiers. C'est-à-dire pour beaucoup de monde. Inconséquent, alors que la détermination de l'aptitude est chronophage et que l'on est en grande pénurie de praticiens. Incompréhensible, alors que la démonstration de l'inutilité de l'aptitude pour la prévention est parfaitement établie, notamment dans le rapport cité plus haut. 100 % des victimes de l'amiante avaient été déclarées aptes ! Mais surtout, et c'est la deuxième erreur, cette segmentation donne l'impression que tous les risques pour la santé peuvent être définis a priori. A l'heure de l'explosion des risques psychosociaux, c'est totalement illusoire.

La troisième erreur est plus subtile. La mission Fantoni a bien proposé de maintenir l'aptitude, mais uniquement pour certains postes dits "de sécurité" : pilote d'avion, conducteur de train, grutier... On peut admettre, en effet, qu'un bus scolaire ne puisse pas être conduit par un salarié malvoyant. Mais la mission avait bien pris soin de recommander que la détermination de cette aptitude soit confiée à un autre médecin que celui du travail, afin d'éviter le mélange des genres. Le médecin du travail est censé agir dans le registre de l'adaptation du travail à l'homme, et non l'inverse... A l'évidence, le projet de loi travail ne s'encombre pas de ce principe. La quatrième erreur relève, quant à elle, plutôt de la catégorie "embrouille économico-administrative". La réforme prévoit de confier désormais la contestation des avis d'inaptitude - par le salarié ou l'employeur - au conseil des prud'hommes, qui désignera un médecin expert judiciaire. Exit, donc, l'Inspection du travail et le médecin-inspecteur du travail chargés jusqu'alors de cette tâche, au motif que les recours hiérarchiques contre leurs décisions deviennent, vu leur nombre croissant, ingérables par la direction générale du Travail. Peut-être, mais en écartant le contrôle des pouvoirs publics et la compétence d'agents qui connaissent le travail et l'entreprise, cette mesure d'économies de bouts de chandelle vide de sa substance la contestation des avis d'inaptitude.

Enfin, la cinquième erreur n'est pas dans l'article 44 proprement dit, mais dans tout ce qu'une réforme ambitieuse de la santé au travail aurait dû porter et qui brille ici par son absence. Manifestement, la modernisation de la médecine du travail n'avait pas pour objet l'amélioration de son efficacité pour mieux protéger les salariés.