« Le job strain concerne 32 % des travailleurs »
L'enquête Sumer 2017 souligne une amélioration de la reconnaissance et de la satisfaction au travail. Peut-on parler d'une diminution des risques psychosociaux ?
Nicolas Sandret : Il y a là une contradiction entre ces données chiffrées et les observations des praticiens dans les consultations souffrance et travail, les remontées des médecins du travail et les études sociologiques. Du côté de la clinique, nous avons une autre représentation : les choses vont très mal. Dans la mesure où il existe une telle contradiction, on ne peut affirmer, selon moi, que les risques psychosociaux ont diminué. Le problème est de savoir comment interpréter ces différences entre ce qui ressort des enquêtes statistiques et ce qui est constaté par les cliniciens. Ces deux vérités, celle des statisticiens et celle des praticiens, coexistent ; les uns n'ont pas raison par rapport aux autres. Ce qui est intéressant, c'est de les comprendre et de voir ce qui s'y joue.
Comment expliquez-vous la baisse du nombre de salariés déclarant des comportements hostiles sur leur lieu de travail ?
N. S. : Nous sommes intrigués par ce reflux conséquent entre 2010 et 2017, tendance qui est par ailleurs pointée dans la dernière enquête Conditions de travail. En 2010, juste après la crise de 2008, les entreprises ont connu des moments de forts bouleversements. En 2017, il y aurait une sorte de stabilisation, et peut-être un ressenti moins douloureux de la part des salariés. Le recul des expositions aux comportements hostiles est particulièrement important pour les salariés de 60 ans ou plus, lesquels étaient auparavant les plus touchés. Nous faisons l'hypothèse que, dans cette tranche d'âge, la sortie du marché du travail par rupture conventionnelle ou inaptitude a pu constituer une solution pour les personnes concernées. Il est de ce fait difficile de parler d'amélioration de l'indicateur si les salariés les plus impactés ne sont plus au travail. La diminution des comportements hostiles est aussi marquée dans les entreprises de plus de 250 salariés, peut-être grâce à des actions de formation ou de prévention. Cela dit, les salariés ne se rendent plus en consultation en disant : "Je suis harcelé", mais plutôt en affirmant : "Je suis en burn-out L'intensité du travail revient souvent dans la description qu'ils font de la dégradation de leurs conditions de travail.
Mais les données de l'enquête Sumer 2017 ne montrent-elles pas une légère diminution de l'intensité du travail ?
N. S. : L'intensité du travail observée par les médecins du travail a effectivement diminué entre 2010 et 2017, mais elle reste à un niveau plus élevé qu'en 1994. Nous sommes peut-être dans un phénomène d'accoutumance. Pourtant, selon les résultats de l'autoquestionnaire, les salariés sont plus nombreux en 2017 à déclarer qu'il leur est demandé une quantité excessive de travail et d'aller très vite. L'autonomie est en repli, avec davantage de salariés qui ne peuvent faire changer l'ordre de leurs tâches ou les délais, ce qui témoigne d'une rigidification. Le job strain, ou tension au travail, concerne toujours 32 % des travailleurs, comme en 2010. C'est un signal d'alerte. Tous ces éléments devraient augmenter le niveau des plaintes. Or les salariés déclarent moins souvent manquer de moyens pour faire correctement leur travail. Cela veut-il dire qu'ils ont réellement plus de moyens, qu'ils peuvent coopérer avec des collègues, qu'ils reçoivent un soutien ? Ou est-ce qu'à partir d'un certain moment ils ne se posent plus la question ? Autant d'interrogations que des travaux qualitatifs à venir devraient éclairer.