Justice du Nord pour crimes industriels au Sud ?
Après la catastrophe du Rana Plaza, au Bangladesh, des ONG et des personnalités du monde judiciaire liées à l'affaire de l'amiante se mobilisent contre les crimes industriels et l'exploitation des travailleurs du Sud par des entreprises occidentales.
La scène se passe le 28 février dans la salle des Criées du Palais de justice, à Paris, lors d'un débat organisé par l'Association française de droit du travail (AFDT). Se sont déplacés l'Italien Raffaele Guariniello, le procureur de Turin qui a fait condamner à 16 ans de réclusion deux dirigeants de la multinationale d'amiante-ciment Eternit, Jean-Paul Teissonnière, avocat des victimes de l'amiante et fondateur de l'association Interforum1 , ou encore Sophia Lakhdar, directrice générale de l'association Sherpa2 . Cette dernière annonce alors la constitution prochaine d'une plainte à l'occasion de l'anniversaire de la catastrophe du Rana Plaza. Cet immeuble insalubre et dangereux de la banlieue de Dacca, au Bangladesh, s'est effondré le 24 avril 2013, tuant plus de 1 100 travailleurs des ateliers de confection sous-traitants de grandes enseignes occidentales.
Vêtements griffés dans les décombres
Les conditions de travail et de sécurité y étaient effroyables. Les grandes marques du prêt-à-porter pouvaient-elles l'ignorer ? Par leurs exigences de coûts très bas, ont-elles favorisé cette catastrophe ? Des entreprises comme l'italien Benetton, dont les vêtements griffés ont été retrouvés au milieu des décombres, risquent de devoir s'expliquer. Car Raffaele Guariniello s'intéresse de près, lui aussi, à ce drame. Le procureur a diligenté une enquête pénale et a obtenu "des éléments très intéressants" sur des entreprises italiennes donneuses d'ordres. Mais sur une telle affaire, où sont impliquées des entreprises américaines, françaises ou anglaises, une coopération internationale des autorités judiciaires s'impose. Celle-ci s'avère particulièrement difficile, déplore Raffaele Guariniello, qui plaide aussi pour l'institution d'un parquet européen, préconisée à l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
En attendant, le procureur turinois a retrouvé des travailleurs italiens qui ont travaillé en France dans l'entreprise Eternit de Vitry-en-Charollais. De retour au pays pour la retraite, beaucoup sont morts d'avoir inhalé des poussières d'amiante "françaises". La société Eternit France pourrait donc être poursuivie de l'autre côté des Alpes. Pour sa part, Me Jean-Paul Teissonnière devrait sous peu assigner Areva devant le tribunal de grande instance de Paris, pour faire reconnaître un préjudice d'anxiété aux travailleurs nigériens des mines d'uranium exploitées par le géant du nucléaire.
Enfin, une proposition de loi du 6 novembre dernier projette d'inscrire dans le Code civil et le Code de commerce une obligation de prévention des dommages sanitaires et environnementaux et des atteintes aux droits de l'homme opposable aux grandes entreprises, qui devront en répondre pour leurs filiales et leurs sous-traitants.