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« L’amiante dans les écoles reste un sujet tabou »

entretien avec Jean-Marie Schléret, ancien président de l’observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements scolaires
par Nolwenn Weiler / 09 juillet 2024

Tout en se montrant rassurant sur le risque amiante dans les collèges et lycées, Jean-Marie Schléret, figure politique de la région Grand-Est, s’alarme d’une situation critique s’agissant des écoles primaires. Une omerta par crainte des réactions des parents d'élèves. 

L'observatoire national de la sécurité et de l'accessibilité des établissements d'enseignement (ONS) a été créé en 1996, un an avant l’interdiction de l’amiante. Les préoccupations concernant ce matériau ont-elles été immédiatement au centre de vos actions ?
Jean-Marie Schléret : L’observatoire a jugé dès son installation cette question de l’amiante très importante. Notamment parce que je suis à Nancy, à deux enjambées du lycée de Gérardmer où ont eu lieu les premiers décès d’enseignants identifiés comme liés à l’amiante. Nous avons tout de suite impulsé un travail d’enquête, sachant que de nombreux collèges et lycées étaient équipés de structures métalliques protégées par des flocages en amiante afin d’éviter leur effondrement en cas d’incendie. Dans la plupart des cas, régions et départements ont pris le problème à bras-le-corps en choisissant l’arrachage de ces flocages. De 1996 à 2000, nombre de chantiers ont ainsi été entrepris.
S’agissant des écoles primaires, la situation était beaucoup plus compliquée. Les informations qui nous parvenaient faisaient état de flocages aux plafonds, y compris dans les salles de classe afin d’assurer une protection acoustique en raison de cette autre propriété de l’amiante. Mais peu de communes ont conduit à leur terme les travaux nécessaires.

Comment avez-vous travaillé après cette première phase ?
J.-M. S. : Il y a eu de nouvelles réglementations à partir des années 2000, avec d’autres types de contrôles à effectuer : il fallait désormais inspecter tout ce qui était colles, revêtements de sols, couvertures de préau, conduites, etc. En 2003, les documents techniques amiante (DTA) ont été rendus obligatoires pour tous les établissements construits avant 1997. L’observatoire a réalisé un suivi minutieux de ces DTA. Dans les lycées, nous n’avons pas observé de difficultés. Les régions ont à leur disposition des services techniques souvent très performants, à même de réaliser des DTA. Dès nos premières enquêtes, nous avons constaté que 99 % des lycées et 96 % des collèges publics avaient leur DTA à jour. Dans le privé, 79 % des établissements du secondaire disposent d’un DTA tenu à jour. 

Ces DTA ont mis en évidence une importante présence d’amiante dans plus de 75 % de ces établissements scolaires. Les travaux ont-ils effectués à la suite de ces diagnostics ?
J.-M. S. : Dans la majorité des cas, les matériaux amiantés se situent dans des locaux techniques ou de stockage des bâtiments. Ce sont des endroits « sous contrôle » : on sait qu’il y a de l’amiante, on n’a pas le droit d’y toucher, les travaux restent possibles mais la question de l’amiante doit être réglée au préalable. Notre rapport de 2016 rappelle néanmoins qu’un DTA résulte d’un repérage visuel et/ou de prélèvements, sans destruction, ni démontage, ce diagnostic n’est donc pas exhaustif. Avant chaque prestation à risque sur les bâtiments antérieurs à 1997, des mesures de recherche, et de protection le cas échéant, restent nécessaires. 

Mais certains établissements contiennent des matériaux amiantés dans des endroits fréquentés par les élèves et le personnel, c’est le cas d’un lycée dans l’Ain. Qu’en pensez-vous ?
J.-M. S. : C’est une situation très problématique, mais peu courante, qui doit être réglée. Il y a clairement une carence de la région.

Votre rapport de 2016 souligne que seulement 70 % des écoles primaires ont un DTA à jour. Comment expliquez-vous ce mauvais résultat ?
J.-M. S. : Il existe une méconnaissance de la réalité des bâtiments, des dangers de l’amiante et des responsabilités, aussi bien dans les écoles primaires que dans les communes responsables des locaux. Le sujet reste tabou, on ne veut pas de vague par crainte des réactions des parents d’élèves. Dès que le sujet arrive en conseil de classe, les directeurs ou représentants des communes sont mal à l’aise. 
Autre difficulté, la communication n’est pas toujours très bonne entre les directions d’écoles et les communes. Or, elle est indispensable. Quant à la mobilisation des parents d’élèves, elle est inégale. Les fédérations de parents d’élèves comme la FCPE, et dans une moindre mesure la PEEP, ont pu jouer un rôle de lanceur d’alertes, mais les parents ne sont pas organisés dans nombre d’écoles. Il me semble prioritaire de mettre le paquet sur les écoles primaires grâce au travail commun des deux partenaires que sont les équipes enseignantes d’un côté et les mairies de l’autre.  

La suppression de l’observatoire en 2020 peut-elle ralentir ce processus ?
J.-M. S. : On peut le craindre. A la suite de la suppression de l’observatoire par le ministre Jean-Michel Blanquer, et ce sur la base de mauvais arguments, nous sommes revenus à la situation de 1995 avec une simple « cellule du bâti scolaire ». Partages de connaissances et confrontations entre tous les partenaires concernés par l’amiante, collectivités locales notamment, ont disparu. Au sein de l’ONS, chacun observait les autres, et cela pouvait inciter à passer à l’action. En 2022, lorsque Pap Ndiaye est arrivé au ministère de l’Education, le Snes FSU a demandé, sans succès, le rétablissement de l’observatoire. L’espoir reste permis avec la prise de conscience des enseignants au cours de ces dernières années. Je trouve cela très intéressant.

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