L’amiante entame une seconde carrière
En pleine crise politique, le communiqué commun de trois administrations centrales sur la présence d’amiante dans seize carrières alluvionnaires est passé relativement inaperçu. Pourtant, c’est toute la chaîne d’exploitation des granulats extraits qui est concernée, des travailleurs aux consommateurs.
Les salariés qui extraient les granulats des carrières alluvionnaires sont-ils soumis à un risque amiante qu’ils ignorent ? C’est ce que laisse entendre une alerte du ministère du Travail du 11 décembre dernier, qui appelle les exploitants de seize carrières françaises à « mettre en œuvre les mesures nécessaires pour assurer la protection des travailleurs » face à l’amiante naturellement présente dans les gisements de galets, graviers et sables qu’ils exploitent.
Le ministère s’inquiète par ailleurs pour la santé des inspecteurs du travail en charge des contrôles dans ces carrières, en cas d’accident du travail par exemple. Il l’a évoqué dès l’été 2024, au moment de la saisine de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), à qui le gouvernement a demandé de rédiger une note d’appui scientifique et technique pour y voir plus clair sur cette présence d’amiante dans les carrières alluvionnaires .
Un document interne du ministère du Travail émis le 2 août rappelle ainsi aux chefs des services d’inspection l’importance de l’évaluation des risques et de la formation des agents ainsi que l’obligation des systèmes de protection collectif et individuel. Dans ce même document, la direction des ressources humaines conseille aux agents de veiller « à réduire au maximum leur exposition en limitant autant que possible la durée du contrôle ou, pour les travaux en extérieur notamment, en réalisant les constats le plus à l’écart possible de la zone de travaux ».
« Un cancérogène sans seuil »
Les ouvriers des carrières et inspecteurs du travail ne sont pas les seuls concernés par ces usages non intentionnels de l’amiante, car les granulats des carrières alluvionnaires servent notamment à produire du béton. Le sujet intéresse donc aussi les travailleurs des chantiers de construction et travaux publics, ainsi que ceux qui sont en charge de leur entretien, ou qui les occupent. Par ailleurs, le ministère de la Santé (co-signataire de l’alerte du 11 décembre) s’interroge à propos de la protection de l’environnement et de la population vivant à proximité des sites.
Face à ce « problème de santé publique potentiel », l’association nationale des victimes de l’amiante (Andeva) souhaite qu’une campagne de mesures de l’émissivité des fibres d’amiante soit réalisée rapidement tout au long de la chaîne d’exploitation « depuis l’extraction, la manufacture et l’utilisation sur les chantiers ainsi que dans les réalisations de constructions susceptibles d’exposer le grand public ». L’étendue de ces recherches est d’autant plus importante que l’amiante est « un cancérogène sans seuil », rappelle l’association. Autrement dit : « on ne connaît pas de valeur en dessous de laquelle il n’y a pas de risque », précise François Desriaux, porte-parole de l’Andeva.
Les pouvoirs publics semblent partager cette inquiétude puisqu’ils ont demandé aux exploitants des carrières concernés d’assurer la protection de leurs travailleurs mais aussi de « rechercher la présence de fibres d’amiante dans l’air de l’environnement proche des carrières » et « d’identifier les produits susceptibles de contenir de l’amiante en analysant le risque d’exposition des consommateurs ». L’Anses précise dans sa note qu’elle a sollicité l’Union nationale des producteurs de granulats (UNPG) ainsi que l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).
« Les pouvoirs publics ont été très transparents et réactifs, il faut s’en féliciter, souligne Sylvain Metropolyt, représentant de la CFDT au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct). Cela nous a permis d’informer rapidement les secteurs concernés, à commencer bien sûr par les salariés des carrières alluvionnaires, mais aussi l’ensemble des travailleurs de la chaîne de traitement via notre fédération syndicale construction, bois. »
Le syndicaliste espère que cette actualité permettra d’accélérer la publication de l’arrêté concernant le repérage avant travaux d’amiante environnementale. Inscrite dans le code du travail depuis 2017, cette obligation ne peut pour le moment être utilisée, faute d’arrêté. « On pourrait aussi aborder la problématique des travaux de BTP sur des terrains identifiés comme contenant de l’amiante, dans certaines régions comme en Corse par exemple », poursuit-il. Aucune réglementation spécifique ne permet aujourd’hui de tenir compte de cette donnée.
Une série de mesures attendues
Concernant l’amiante dans les carrières alluvionnaires, l’Andeva souligne que les professionnels des branches concernées ne peuvent pas gérer seuls ce problème. « Il faut que les campagnes de mesures soient réalisées et/ou contrôlées par des autorités sanitaires compétentes et indépendantes des exploitants », estime François Desriaux. Pour le moment, ce n’est pas ce qui est prévu. Interrogé par Santé & Travail, le ministère du Travail explique que ce sont les gestionnaires des carrières qui doivent confier les mesurages d’émissivité à des laboratoires accrédités.
« Il faudrait identifier les activités les plus émissives de fibres d’amiante, ajoute Sylvain Metropolyt, citant le concassage des granulats, qui émet beaucoup de poussières. On pourra ensuite définir les moyens de protection des travailleurs. Encore faudrait-il combler les trous dans la raquette de la réglementation qui n’a pas été conçue pour les activités extractives. »
S’agissant des inspecteurs du travail, le syndicaliste cite l’article R 4722-29 du code du travail, dont l’arrêté devrait quant à lui être publié très prochainement et qui permettra aux agents de demander une analyse de matériaux aux employeurs des lieux contrôlés s’ils estiment qu’il y a des risques pour leur santé, typiquement la présence d’amiante. Il espère enfin que cette affaire ouvrira de nouvelles discussions sur les valeurs limite d’exposition publique et professionnelle aux fibres d’amiante.
Pour répondre à toutes les urgences soulevées par ces carrières amiantées, l’Andeva demande au gouvernement « de débloquer des crédits et des moyens exceptionnels ». Et elle l’interpelle sur le temps qui s’est écoulé depuis que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), établissement public expert en matière de géologie, a identifié ce nouveau risque amiante.
« Entre 2018 et 2020, 81 carrières présentant un risque élevé pour les gisements exploités de renfermer des éléments rocheux amiantifères ont été identifiées. Nous sommes en 2024 et seulement 23 carrières sur ces 81 identifiées il y a plus de 5 ans comme présentant un risque élevé, ont été expertisées. Les pouvoirs publics doivent terminer au plus vite l’expertise des 58 sites restant. »
Cet article est réalisé en partenariat avec le magazine Alternatives Economiques.
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