L’amiante sème le trouble dans un lycée de l’Ain
Mobilisés depuis l’automne dernier contre le risque amiante, les syndicats de la cité scolaire internationale Ferney-Voltaire espèrent l’intervention de l’inspection du travail afin de contraindre la région à prendre les mesures nécessaires.
Sept enseignants de la cité scolaire internationale (CSI) Ferney-Voltaire dans l’Ain, cinq en novembre 2023 et deux en avril 2024, ont fait usage de leur droit de retrait pour protester contre les dangers de l’amiante. En partie construit avant 1997, l’établissement scolaire compte près de 150 salles et abrite 2 500 élèves ainsi que 250 enseignants. Tous sont susceptibles de respirer des fibres cancérigènes libérées par des matériaux usagés. « Dans certains couloirs, des morceaux de dalles amiantés s’arrachent, et la colle, elle aussi amiantée, est apparente. Mais l’accès à ces couloirs n’a jamais été condamné », souligne Eva-Marianne Coltice, cosecrétaire de l’union départementale (UD) Solidaires. Dans les cages d’escaliers, les enduits amiantés subissent régulièrement les frottements des élèves et cartables, alors qu’ils sont censés être protégés de toute sollicitation mécanique. Des portes coupe-feu et des joints sont aussi suspectés de contenir de l’amiante.
« Les agents d’entretien ne semblent pas informés des risques car ils nettoient parfois les dalles amiantées avec des machines », ajoute Eric Pérocheau, secrétaire départementale du Snes-FSU. Ces machines abrasives peuvent remettre en suspension des fibres, un risque grave pour les agents d’entretien qui ne portent aucun équipement de protection individuelle mais aussi pour les enseignants et les élèves. « Il y a aussi un défaut de signalétique des matériaux amiantés », poursuit-il. Le danger est omniprésent, invisible, et la hiérarchie semble le reconnaître puisque les enseignants qui ont exercé leur droit de retrait ont été déplacés vers des préfabriqués. « Ils sont certes à l’abri mais se retrouvent dans des conditions de travail dégradées, remarque Didier Bonneton, représentant FO à la formation spécialisée en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail (FSSSCT) de l’établissement. La collègue de sciences et vie de la terre, par exemple, ne peut plus faire de travaux pratiques. »
Déni du risque malgré les alertes
Le 5 mars dernier, deux conseillers régionaux EELV ont écrit à Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes et responsable de l’entretien des locaux de la CSI, pour lui faire part de « la situation préoccupante » de l’établissement : « les élèves et le reste du personnel continuent d'emprunter les couloirs où des matériaux contenant de l'amiante sont visiblement dégradés, déplorent Albane Colin et Maxime Meyer. De plus, les récents travaux entrepris au lycée et au collège n'ont pas pris en compte la présence d'amiante, ce qui a pu entraîner la libération de fibres potentiellement nocives pour la santé. » Les élus écologistes s’inquiètent par ailleurs que les services de la région n’aient toujours pas communiqué l’ensemble du dossier technique amiante (DTA) aux enseignants qui en ont fait la demande. « Dans de nombreux endroits, l’accès au DTA est un vrai problème, déplore Cyril Verlingue, syndiqué au SNES-FSU et membre du collectif national Urgence amiante écoles. Trop de collectivités continuent de faire une rétention d’information. » Le collectif aimerait que le ministère fasse remonter tous les DTA pour qu’ils soient consultables facilement par les représentants du personnel, et plus globalement par tous les citoyens. Mais la création de cette « DTAthèque », exigée depuis 5 ans par le personnel mobilisé de l’éducation nationale, est au point mort.
« Afin de répondre aux craintes des personnels du lycée Ferney-Voltaire concernant certains revêtements dégradés, des mesures d'empoussièrement ont été réalisées, explique Florence Dubessy, vice-présidente de la région Auvergne-Rhône-Alpes, aux élus écologistes dans un courrier du 12 avril 2024 que Santé & Travail a pu consulter. Elles se sont avérées négatives et ont clairement indiqué l'absence de fibres dans l'air. » Mais ces mesures d’empoussièrement ne signifient pas l’absence d’amiante dans l’air, d’autant plus qu’elles sont rarement faites en conditions réelles, c’est-à-dire avec des élèves présents à même de remettre les fibres en suspension. « Si l’on faisait des prélèvements surfaciques avec des lingettes dans tous les recoins de la CSI, on y verrait beaucoup plus clair, estime Didier Bonneton. Malheureusement, bien que préconisées par de nombreux spécialistes, ces analyses ne sont pas obligatoires. »
Travaux annoncés mais jugés insuffisants
Comme nombre de ses collègues, Didier Bonneton s’étonne de l’enveloppe de 530 000 euros annoncée par la région, laquelle paraît bien faible pour les travaux de désamiantage et de réfection des sols qu’il faudrait réaliser. « En 2021, les escaliers de deux bâtiments du lycée ont été désamiantés, relève pour sa part Eva-Marianne Coltice. Et cela a coûté 1,5 millions d’euros. »
« Le danger est grave et reste imminent », insiste le représentant syndical à la formation spécialisée. Au moins 60 enseignants de la CSI Ferney-Voltaire partagent son avis : ils ont signé une pétition au début du mois d’avril exigeant que le signalement en novembre 2023 de ce danger grave et imminent soit maintenu, afin que l’inspection du travail puisse intervenir. « Elle seule pourra obliger la région à faire des travaux et à fermer certaines parties de la cité scolaire, et ce le plus vite possible », poursuit-il. Une réunion extraordinaire de la FSSSCT, dédiée à cette question de l’amiante, doit se tenir le jeudi 23 mai. Si cette commission se prononce en faveur de la saisine de l’inspection du travail, la directrice académique des services de l'Education nationale (DASEN) sera dans l’obligation de le faire.
Le tableau noir de l’amiante dans les écoles, Santé & Travail, juin 2023