L’amorce d’un front intersyndical sur la santé au travail
Des assises sur la santé au travail coorganisées par des militants de la CGT, de Solidaires, de la FSU et des membres d’associations de victimes du travail ont acté la volonté des organisations de travailler en commun sur ce sujet. Avec l’intention d’en faire un axe de mobilisation.
Comme lors de la mobilisation syndicale contre la dernière réforme des retraites, y aura-t-il demain un front commun pour renforcer la prévention des risques professionnels, aujourd’hui fortement malmenée par les réformes et projets du gouvernement ? Les Assises de la santé et de la sécurité des travailleurs et travailleuses, organisées par des militants syndicaux (CGT, FSU, Solidaires) et associatifs, les 13 et 14 mars dernier à la bourse du travail de Paris, pourraient constituer les prémisses d’une mobilisation intersyndicale.
Ces deux journées de débat et de réflexion ont abouti à l’adoption de plusieurs textes : un appel à une mobilisation le 25 avril prochain dans le cadre de la Journée mondiale de la santé et sécurité au travail ; une campagne nationale intitulée « Mourir au travail, mourir du travail, plus jamais ! », dont le lancement est prévu début juin ; une plateforme revendicative d’une vingtaine de mesures visant à améliorer la protection des salariés et agents de la fonction publique face aux risques et atteintes à la santé auxquels ils sont exposés au travail.
Une « feuille de route » pour les syndicats
Retour des CHSCT, avec des pouvoirs élargis dans le secteur privé comme dans la fonction publique ; suppression de la sous-traitance et de l’intérim dans les secteurs à risques ; poursuites pénales contre les employeurs en cas de manquement aux règles de prévention ; retraites à 55 ans pour les métiers pénibles ; tableaux de maladies professionnelles pour les atteintes psychiques… Le large éventail de revendications adopté à l’issue de cet évènement a été discuté au cours d’une table ronde animée par Santé & Travail1
et réunissant les responsables des trois organisations syndicales parties prenantes.
« Je ne peux me positionner sur cet appel, lequel n’a pas du tout été débattu à la CGT dans le cadre de nos instances », a cependant prévenu Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. Un point de vigilance pour rappeler que les initiatives des militants doivent être discutées collectivement avant d’engager les confédérations. « Cela ne fonctionnera pas dans le cas contraire », a-t-elle renchérit. Benoit Teste, secrétaire général de la FSU, et Murielle Guilbert, co-déléguée générale de Solidaires, ont de leur côté salué une « feuille de route » sur laquelle les organisations syndicales pourront s’appuyer. « Ces assises sont aussi l’occasion de constater les points communs qui existent entre nos trois syndicats sur un certain nombre de questions », a précisé Murielle Guilbert. « Nous trouvons cet appel intéressant et nous souhaitons populariser les travaux de ces assises », a ajouté Benoît Teste.
Les trois responsables syndicaux ont souligné le « dynamisme » des travaux accomplis dans le cadre de ces rencontres. Reste à savoir comment les autres confédérations syndicales accueilleront ces revendications, sur lesquelles elles n’ont pas été sollicitées. « La santé au travail fait partie des éléments qui peuvent être transversaux entre nos organisations », a cependant estimé la co-déléguée générale de Solidaires.
Consensus contre les ordonnances travail
Les organisations syndicales ont dénoncé à l’unisson le bilan désastreux des ordonnances travail de 2017 concernant la prise en compte des enjeux de santé au travail, en particulier la disparition des CHSCT dans le cadre de la fusion des instances représentatives du personnel. « Les CHSCT de la fonction publique ayant moins de capacité d'expertise et d'ester en justice que ceux du privé, la fusion des instances a été une moindre perte, a néanmoins précisé le représentant de la FSU. Mais nous avons perdu en termes d’indépendance des actions et nous nous inscrivons dans une logique de reconquête de capacités d'expertise sur les questions d'organisation du travail. »
Pour Murielle Guilbert, ces ordonnances et la réforme de la médecine du travail se sont traduits par un « siphonnage des droits » des travailleurs et travailleuses. Sophie Binet a rappelé que 60 % des entreprises de plus de 50 salariés disposaient avant 2017 d’une instance représentative dédiée aux conditions de travail contre 35 % aujourd’hui. Elle a aussi fustigé les recommandations d’un récent rapport parlementaire visant à augmenter les seuils d’effectifs à partir desquels la création de CSE est obligatoire, lesquelles reprennent des revendications de l’organisation patronale CPME. « Avec, qui plus est, la fin souhaitée du premier tour réservé aux organisations syndicales, a-t-elle déploré. Il s’agit d’un très grave tournant poujadiste de la CPME dans un contexte où l'extrême droite est à l'offensive partout. L'extrême droite souhaite de longue date faire sauter le verrou du premier tour pour faciliter l’implantation de syndicats jaunes. »
Renforcer les sanctions contre les employeurs
Autre point de convergence des organisations syndicales : l’invisibilisation des risques professionnels et notamment de ceux auxquels les femmes sont exposées. « Il est nécessaire de genrer systématiquement nos revendications et analyses sur les conditions de travail », a défendu Murielle Guilbert. Sophie Binet a pointé la méconnaissance importante de la pénibilité des métiers féminisés. « Le C2P [compte professionnel de prévention, NDLR] concerne très peu de salariés et majoritairement des hommes, en raison de ses critères discriminants », a-t-elle rappelé.
Les responsables syndicaux ont aussi appelé à sortir de l’ombre les morts au travail, et plus généralement les accidents du travail et les maladies professionnelles. « Il existe aujourd’hui une impunité totale pour les employeurs, il faut durcir les sanctions », a estimé la secrétaire générale de la CGT. Déplorant que les employeurs publics ne soient toujours pas pénalisés financièrement en cas d’atteinte à la santé des agents, Benoit Teste a souligné l’importance de la prévention primaire pour supprimer les risques. « De multiples indicateurs sont des témoins d’un mal-être au travail, ne serait-ce que le nombre de démissions et la hausse des demandes de rupture conventionnelle, a-t-il poursuivi. Pour inverser la tendance, il faut recréer du pouvoir d'agir, dans les instances, et pour les agents. »
- 1La revue Santé & Travail n’a pas participé à l’organisation de ces assises militantes.