© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
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Laurent Vogel, défenseur de la santé au travail en Europe

par Frédéric Lavignette / octobre 2008

Nouveau directeur du département santé et sécurité de l'Institut syndical européen, Laurent Vogel se bat pour que la santé au travail soit bien prise en compte par l'Union européenne. Un domaine où beaucoup reste à faire.

Même s'il est toujours en rendez-vous à l'extérieur de son bureau, Laurent Vogel n'en est pas pour autant dispersé. Au contraire, il a toujours gardé un même cap pour conduire sa vie. Durant cinquante-trois années, celle-ci semble s'être en effet déroulée selon une trajectoire entièrement dévouée à la défense des personnes malmenées par toutes sortes de dominations.

Ce Bruxellois, qui vient d'être nommé successeur de Marc Sapir à la direction du département santé et sécurité de l'Institut syndical européen pour la recherche, la formation et la santé-sécurité (ETUI-REHS), une annexe technique de la Confédération européenne des syndicats (CES), n'a pourtant pas l'impression d'avoir forcé son destin. Tout s'est fait naturellement, sur la base de convictions héritées de son milieu. Ce sont elles qui ont par exemple motivé son militantisme d'extrême gauche des années lycée. Avec un père résistant communiste et une mère féministe, cette sensibilité politique n'a pas eu trop de mal à se définir. Ce sont également ces convictions qui motivent son combat actuel en faveur de la santé et de la sécurité sur les lieux de travail en Europe.

 

Face aux directives

Si, en 1990, Laurent Vogel intègre en tant que chargé de mission le Bureau technique syndical pour la santé et la sécurité (BTS), l'un des trois organes que vient de créer depuis peu à Bruxelles la CES, c'est parce qu'il lui paraît important de mettre ses compétences au service de la société. "Jamais je n'aurais pu servir une firme dont la seule philosophie est le profit", soutient-il. A cette époque, sa tâche consiste à suivre la mise en place des systèmes de prévention des 12 pays membres de la Communauté économique européenne et à émettre, à l'occasion, des critiques d'ordre syndical pour aider à améliorer les dispositifs.

Lorsqu'en 2005 le BTS devient le département santé et sécurité de l'ETUI-REHS, ses motivations restent les mêmes : représenter les syndicats des travailleurs européens face aux directives communautaires et plaider pour une harmonisation optimisée des conditions de travail. Devant les résistances des parlementaires et des industriels, ce rôle n'est pas une mince affaire. D'autant que l'Europe s'est élargie...

Mais pour assurer ses plaidoiries, Laurent Vogel possède plus d'un atout. Une voix, d'abord. Posée et pénétrante, elle diffuse avec persuasion son message. De l'éloquence, ensuite. Sa mère enseignante, son père avocat et sa propre formation de juriste lui ont transmis cette maîtrise du verbe et l'esprit de synthèse si nécessaires à ses argumentations, qui peuvent être déclinées en plusieurs langues.

"Actuellement, explique-t-il, la tendance des institutions est de sous-estimer l'impact négatif du travail précaire sur la santé des salariés. Elles considèrent que les nouveaux types d'emplois à temps partiel dynamisent le marché du travail et que les jeunes travailleurs les sollicitent au nom d'une prétendue liberté de mouvement." Reste alors à démontrer aux eurodéputés l'influence néfaste de ces contrats sur la santé des salariés. Cependant, déplore Laurent Vogel, peu de parlementaires se soucient réellement de santé au travail. "On peut faire tenir dans cette pièce ceux qui s'y intéressent vraiment", indique-t-il, en désignant son bureau bruxellois d'une vingtaine de mètres carrés.

Cet hermétisme ne le décourage pas pour autant. Il a connu des situations bien pires. Si vous insistez, il peut vous raconter comment il a dû faire face à la dictature anticommuniste salvadorienne. En 1979, à l'initiative d'un ami originaire du Nicaragua, Laurent Vogel décide de passer des vacances dans ce pays. L'invitation tombe doublement bien : l'Amérique latine le fait rêver et les sandinistes d'Ortega viennent de prendre le pouvoir. Avant de s'y rendre, il projette toutefois de sillonner les pays voisins à bord d'un autobus. "Parti du Mexique, je me suis progressivement rapproché du Nicaragua. Mais arrivé au Salvador, mon voyage s'est arrêté là", se souvient-il. Le pays vient alors de tomber aux mains d'une junte militaire et nombreuses sont les victimes de la répression. Au nom de ses convictions politiques, il décide de leur apporter ses compétences de juriste.

Après un rapide retour en Europe, le temps d'abandonner logement, emploi et affaires en cours, Laurent Vogel s'installe durablement au Salvador et travaille pour une commission non gouvernementale oeuvrant en faveur des droits de l'homme. Dénoncer les crimes du régime, aider les survivants à fuir le pays, recenser les disparus et attirer l'attention des organismes internationaux ont été son lot quotidien pendant cinq ans.

S'il n'établit évidemment pas de comparaison entre ce passé et son activité actuelle, il admet une certaine continuité dans sa démarche. De sa jeunesse, outre son apparence d'adolescent, Laurent Vogel a en effet conservé au plus profond de lui la notion de "contre-pouvoir". A Bruxelles comme à San Salvador, il lui semble indispensable de refuser certaines situations quand on le peut. "La différence, c'est qu'ici on a moins à craindre pour sa vie !", admet-il avec un soulagement amusé.

 

Harmonisation vers le haut

Depuis que l'Europe est passée à 27 pays, il se refuse par exemple à admettre l'existence de certains écarts. Entre plusieurs pays, les conditions de travail pour une même activité peuvent être en effet diamétralement opposées. A l'intérieur même de chaque pays européen cette fois, les différences entre professions tendent également à s'accroître. "Ce que demandent les syndicats, explique le nouveau directeur du département santé et sécurité, c'est une harmonisation vers le haut des conditions de travail et non pas une mise en concurrence des salariés obtenue au détriment de leur santé et de leur sécurité. Nous voulons donc que l'Union européenne intervienne de façon plus énergique, avec une législation plus précise."

La demande est exigeante, d'autant que l'intérêt de l'Europe en matière de santé au travail semble relever du passé ! Certes, il arrive que la politique sociale de quelques pays ait une influence heureuse sur l'adoption de certaines directives. Ce fut en particulier le cas pour l'amiante, grâce à la pression des syndicats et des associations de victimes. De son côté, l'adoption de Reach1 a marqué une avancée significative du dossier sur les risques chimiques. Cependant, regrette Laurent Vogel, ces progrès sont des exceptions à contre-courant de la tendance actuelle.

"L'âge d'or de la santé au travail est bel et bien derrière nous, constate-t-il. L'optimisme semble être progressivement retombé depuis 1992, une fois que les industriels ont obtenu la création du marché unique. A partir de cette date, ils ont commencé à poser une série de freins sur la santé au travail en Europe. Ils ont notamment fait en sorte que les directives n'abordent pas de front l'organisation du travail, qui est un enjeu central pour toutes les questions de santé au travail."

 

Repère

Le département santé et sécurité de l'Institut syndical européen pour la recherche, la formation et la santé-sécurité (ETUI-REHS) a pour objectif de "promouvoir un haut niveau de santé et de sécurité sur les lieux de travail en Europe" au nom des 65 syndicats européens adhérant à la Confédération européenne des syndicats (CES).

Grâce à l'Observatoire sur l'application des directives européennes qu'il a mis en place, il effectue des analyses comparatives de l'impact de la législation communautaire sur les différents systèmes de prévention des pays de l'Union européenne. Il mène aussi des études, par exemple sur l'évaluation des risques, le stress... Pour apporter la contradiction à certaines décisions, le réseau d'experts qu'il anime lui permet d'obtenir les arguments appropriés en matière de normalisation technique (ergonomie, sécurité des machines) ou de toxicologie. Pour en savoir plus, consulter le site http://hesa.etui-rehs.org

Du coup, les troubles musculo-squelettiques ou les éthers de glycol ne sont pas des priorités pour Bruxelles. Pendant un temps, un espoir de relance s'était néanmoins dessiné : "Pour la période 2007-2012, la Commission avait adopté une stratégie en santé au travail, rapporte Laurent Vogel. Mais cette stratégie, pourtant peu ambitieuse n'arrive même pas à démarrer." Ce qui signifie des années de lutte en perspective...

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    Voir Santé & Travail n° 63, juillet 2008, page 47.