L'empoussièrement amiante sous-estimé

par Elsa Fayner / janvier 2016

Les laboratoires censés mesurer les fibres d'amiante sur les chantiers de traitement de ce matériau cancérogène sont pointés du doigt. Leurs résultats seraient inférieurs à la réalité. Or ils déterminent les moyens de protection à mettre en oeuvre.

Le comptage des fibres d'amiante est crucial sur un chantier de désamiantage. Il détermine en effet les moyens de protection collective et les équipements de protection individuelle ainsi que les techniques adaptées pour les travaux de retrait ou d'encapsulage1 . Autant d'obligations réglementaires qui permettent de s'assurer du respect de la valeur limite d'exposition professionnelle (VLEP), laquelle a été abaissée l'an passé (voir "Repères"). D'où l'importance d'évaluer les niveaux d'empoussièrement à leur juste valeur. L'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) s'est penché sur le problème et a tiré la sonnette d'alarme.

Pour bien comprendre de quoi il s'agit, après l'étape du prélèvement sur les chantiers, des laboratoires sont chargés de compter les fibres d'amiante. Depuis 2012 et l'obligation de faire le comptage par microscopie électronique à transmission analytique (Meta), leur nombre a grimpé : ils étaient 24 en 2005, 40 en 2014 et 53 début 2015.

"Anomalies alarmantes"

L'INRS, qui réalise des campagnes d'essais auxquels les organismes de comptage accrédités doivent participer, a relevé, pour certains, des "anomalies [...] alarmantes", qui "interrogent le respect du référentiel d'accréditation", écrivent Laurence Fréville et Céline Eypert-Blaison, du département métrologie des polluants de l'Institut, dans un article publié en septembre dernier2 . Il apparaît que des laboratoires "ont tendance à sous-estimer les densités en fibres". Pire : plus la densité est élevée, plus le nombre de fibres d'amiante comptées est sous-estimé, les mesurages de l'INRS révélant des niveaux d'empoussièrement qui excèdent largement à la fois le niveau attendu dans les plans de retrait et le seuil réglementaire maximal de 25 000 fibres par litre (f/l). Enfin, selon l'étude, le nombre de résultats sous-estimés est en augmentation depuis trois ans. A l'issue de la campagne 2014, 25 % des résultats fournis par les laboratoires "demeurent inadmissibles" et 60 % des organismes possèdent au moins un résultat accepté qui est sous-estimé. Pour l'année 2015, les premiers résultats exploités témoignent cependant d'une "amélioration", déclare Laurence Fréville, qui se veut encourageante.

Réduire le temps d'exposition

En octobre, la direction générale du Travail (DGT) a publié une circulaire appelant les agents de l'Inspection du travail à "une vigilance accrue" sur les expositions à l'amiante. Ce document explicite les mesures de prévention individuelles et collectives à mettre en oeuvre, afin de respecter les valeurs limites d'exposition professionnelle. Ainsi, pour les niveaux d'empoussièrement élevés, la DGT préconise de réduire le temps d'exposition des salariés, "ce qui se révèle difficile pour des entreprises spécialisées et peu commode à vérifier", observe Anita Romero-Hariot, du département expertise et conseil technique de l'Institut national de recherche et de sécurité. Soulignant la difficulté à "connaître les facteurs de protection des équipements lourds sur le terrain, au-delà de 3 300 fibres par litre", cette spécialiste de l'amiante estime que "mieux vaudrait dans ce cas faire en sorte que les opérateurs utilisent des techniques qui les éloignent des sources d'émission"."Le port d'un appareil de protection respiratoire est obligatoire au-dessus de 5 fibres par litre, mais il vient toujours en complément de la mise en oeuvre de techniques moins émissives et de moyens de protection collective plus performants", répond Sylvie Lesterpt, chargée de mission amiante à la DGT.

Ces difficultés concernent des laboratoires nouvellement créés, mais pas seulement. "Nous constatons une dégradation de l'évaluation depuis 2012, signale Laurence Fréville. La technique par Meta pour le suivi des expositions à l'amiante sur les lieux de travail peut apporter des biais et de la dispersion si toutes les étapes ne sont pas rigoureusement respectées." Or, notent les auteures de l'article, l'organisation du travail dans certains laboratoires s'avère parfois incompatible avec le respect des bonnes pratiques. La pression temporelle subie par les analystes pour respecter les objectifs commerciaux est notamment évoquée, tout comme la formation du personnel. "Une fois, en dépouillant le rapport qu'un client avait reçu d'un laboratoire pour évaluer l'empoussièrement en fibres d'amiante sur son chantier, je me suis aperçu que ce n'était pas le bon rapport mais celui d'un autre client : le laboratoire les avait intervertis", se souvient Mathieu Gay, préleveur et analyste dans une petite structure. Son entreprise intervient "en second couteau" après les gros laboratoires. Selon lui, l'activité est devenue "très rentable" mais pas toujours très sérieuse.

"Un travail à faire sur la formation"

"On voit vraiment de tout : des gens très compétents et d'autres qui ont l'air de découvrir les techniques d'analyse", confirme Anita Romero-Hariot, spécialiste de l'amiante au département expertise et conseil technique de l'INRS, à propos des participants aux trois jours de sensibilisation que l'Institut dispense depuis 2012 dans le cadre du plan d'action mené avec la direction générale du Travail (DGT) et le Comité français d'accréditation (Cofrac), l'instance accréditant les laboratoires. "Il y a un vrai travail à faire sur la formation initiale", conclut-elle. La DGT va dans le même sens : "Des problèmes importants demeurent liés à l'insuffisance numérique des techniciens compétents en matière de stratégie d'échantillonnage, de prélèvements et d'analyse, à proportion d'une capacité d'analyse par Meta multipliée par 10 en trois ans", s'inquiète Sylvie Lesterpt, chargée de mission amiante, qui pointe également "la maîtrise insuffisante des normes obligatoires en matière de métrologie, faute de formation d'hygiéniste du travail".

Face à la gravité des problèmes soulevés par l'INRS, qui a émis des préconisations techniques, la DGT a rédigé une circulaire à destination de l'Inspection du travail, appelant notamment à "une attention particulière sur les mesures d'empoussièrement réalisées par les organismes accrédités" (voir encadré). Sans toutefois reprendre toutes les suggestions de l'INRS. D'aucuns regretteront ainsi l'absence de contrôles inopinés des laboratoires ou d'autres mesures sur le comptage des fibres - sur lequel portait pourtant l'alerte de l'INRS -, la formation initiale des analystes ou encore l'organisation du travail des laboratoires. Rien non plus sur le Cofrac.

Repères

La valeur limite d'exposition professionnelle (VLEP) amiante est passée, le 1er juillet 2015, de 100 à 10 fibres d'amiante par litre d'air respiré en 8 heures de travail. Par ailleurs, depuis 2012, le comptage des fibres doit s'effectuer par microscopie électronique à transmission analytique (Meta), remplaçant la microscopie optique.

Enfin, les valeurs de référence permettant de déterminer les moyens de protection en fonction du niveau d'empoussièrement d'un chantier n'ont pas suivi la baisse de la VLEP, mais des modifications sont attendues pour cette année.

Le fonctionnement de celui-ci attire pourtant l'attention : parapublic, il est piloté par un conseil d'administration qui intègre des représentants des organismes accrédités ainsi que ceux d'entreprises faisant appel à ces derniers, en plus de représentants des pouvoirs publics et de la société civile. Pour évaluer le sérieux des laboratoires, explique Stéphanie Riss, responsable d'accréditation en charge de l'amiante, le Cofrac "fait de la traçabilité de dossiers. Quand les résultats ne sont pas conformes, on indique un "écart". Celui-ci doit être traité, sinon cela peut aller jusqu'à la suspension de l'accréditation". Actuellement, sur la cinquantaine de laboratoires de comptage en France, un seul se trouve dans cette situation.

  • 1

    L'encapsulage consiste à recouvrir de manière étanche une surface amiantée. Cette méthode est utilisée lorsque l'amiante ne peut être retiré sans créer un risque de contamination.

  • 2

    "Amiante : des pratiques à améliorer pour certains participants à l'essai inter-laboratoires Alasca MeT", par Laurence Fréville et Céline Eypert-Blaison, Hygiène & Sécurité du travail n° 240, septembre 2015. Cet article est uniquement accessible par téléchargement sur le site de la revue technique de l'INRS : www.hst.fr