L’endométriose, handicap non reconnu pour les femmes
Cette pathologie gynécologique s’accompagne de troubles très douloureux et gênants pour les femmes, sources de complications qui peuvent compromettre leur emploi ou leur carrière. Une problématique pas assez prise en compte au regard des enjeux.
Difficulté à tenir au travail, mal-être, carrière freinée… L’endométriose, maladie qui touche 1 femme sur 10, affecte le quotidien de celles qui en sont atteintes, notamment leur vie professionnelle. Cette pathologie est restée longtemps invisible en France. Alors qu’elle est connue depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, elle n’est entrée dans le programme de formation des médecins qu’en septembre dernier. Mais depuis quelques mois, elle fait l’objet d’une attention particulière de la part du gouvernement et des parlementaires. En juillet 2020, une proposition de loi a ainsi été déposée à l’Assemblée nationale, visant à faire reconnaître la lutte contre l’endométriose « Grande cause nationale 2021 », et une lettre signée par 99 sénateurs et 85 députés, demandant son intégration dans la liste des affections longue durée, a été adressée au ministre de la Santé et des Solidarités, Olivier Véran.
Il s’agit d’une maladie chronique gynécologique, qui se caractérise par la présence de cellules semblables à celles de l’endomètre, muqueuse de l’utérus, en dehors de celui-ci, notamment sous forme de kystes, de nodules ou d’adhérences entre organes (ovaires, trompes de Fallope, vagin, intestins…). Les personnes atteintes peuvent souffrir de douleurs pelviennes, de troubles digestifs et urinaires, de fatigue chronique, de douleurs pendant les rapports sexuels ou encore d’infertilité. L’endométriose demeure sous-diagnostiquée ou l’est trop tardivement. Alors que les symptômes peuvent apparaître dès l’adolescence, les malades connaissent une errance médicale, la cause de leurs troubles n’étant identifiée en moyenne qu’entre sept à neuf ans après l’apparition des premières douleurs.
Près de 2000 malades interrogées
Comment cette pathologie affecte-t-elle la vie au travail et la carrière professionnelle des femmes qui en souffrent ? L’analyse des réponses à un questionnaire, « Endotravail », réalisé avec le Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) auprès d’un échantillon de 1 986 malades, permet d’apporter des éléments de réponse à cette question, contribuant ainsi à l’étude des inégalités en milieu professionnel à travers les prismes du genre et de la santé.
Tout d’abord, l’endométriose peut avoir des effets en amont de l’entrée sur le marché du travail. Les femmes atteintes par cette maladie sont en effet rarement diagnostiquées au moment où elles suivent des études (seulement 17 % des personnes interrogées), alors que les symptômes occasionnent déjà des difficultés importantes au lycée ou lors des études supérieures. Près de la moitié des malades déclare ainsi avoir manqué au moins une journée de cours par mois pendant les études, en raison de troubles perçus – souvent rétrospectivement – comme liés à l’endométriose (douleurs incapacitantes pendant les règles, etc.). L’une des participantes au questionnaire confie par exemple : « J’allais à l’infirmerie tous les mois car la douleur était intenable, plus vomissements et malaise. » Pour 1 malade sur 10, la pathologie a ainsi influencé la poursuite des études : abandon, choix d’une formation à distance ou réorientation vers une filière qui permet davantage de concilier la vie professionnelle avec l’endométriose (horaires flexibles, postures moins douloureuses…).
Les symptômes de la maladie sont multiples et ont de nombreuses conséquences sur le quotidien au travail. Certaines postures peuvent être difficiles à tenir à cause de douleurs lombaires, déclarées par 66 % des malades, ou dans les jambes, pour 45 % d’entre elles. Une salariée d’une agence de Pôle emploi confie ainsi : « La fatigue chronique et les douleurs quotidiennes rendent l’accueil d’un public compliqué. Je ne suis plus aujourd’hui en capacité d’enchaîner les rendez-vous individuels, de rester debout en pupitre d’accueil ou de rester assise des heures devant mon ordinateur. » D’autres symptômes, comme les troubles digestifs (70 % des malades) et urinaires (32 %), peuvent non seulement être douloureux mais aussi engendrer des situations gênantes, voire parfois l’interruption de l’activité en cours. Ces troubles rendent particulièrement compliquées les situations de travail en extérieur, notamment lorsqu’un accès rapide à des toilettes n’est pas possible, ou celles dans lesquelles les malades travaillent avec du public dont elles sont responsables (enfants, personnes âgées…). D’autres manifestations comme la fatigue chronique, qui touche neuf femmes atteintes sur dix, ou encore des troubles émotionnels, tels que l’anxiété ou une sensibilité accrue (62 % des malades), parfois causés par les traitements, peuvent affecter les relations professionnelles avec les collègues.
Des crises parfois imprévisibles
Un tiers des malades déclare quitter précipitamment au moins une fois par mois leur travail pour rentrer chez elles ou consulter un médecin à cause de symptômes liés à leur endométriose. A contrario, elles sont plus d’un tiers à déclarer se rendre au travail malgré des symptômes qu’elles estiment incapacitants au moins deux fois par mois. Les troubles liés à l’endométriose varient d’une femme à l’autre mais également pour une même personne d’un cycle menstruel à l’autre. Autrement dit, l’état de santé d’une personne atteinte par cette pathologie peut être instable et parfois imprévisible, ce qui ne favorise ni la prise de conscience des conséquences de la maladie sur la vie professionnelle ni l’anticipation des crises.
Au quotidien, l’endométriose nuit ainsi à la concentration, à la performance et au bien-être au travail des malades. Par crainte d’incompréhension ou de retombées négatives, celles-ci peuvent chercher à cacher leur maladie. « Devoir faire comme si tout allait bien, c’est le plus compliqué à gérer », explique une malade, qui n’a pas la possibilité de s’isoler lorsqu’elle souffre, ou de se reposer le midi, car elle travaille dans un bureau collectif. Pour la moitié des participantes au questionnaire, l’endométriose a d’ailleurs eu des conséquences négatives sur leur parcours professionnel : leurs contrats n’ont pas été renouvelés, voire elles ont été licenciées. D’autres estiment qu’elles n’ont pas eu les avancements de carrière qu’elles espéraient. Ainsi, une ouvrière en CDI déclare : « L’endométriose m’empêche de recevoir certaines primes d’assiduité et de rapidité dont mes collègues bénéficient. » Tandis qu’une graphiste travaillant dans la fonction publique territoriale confie : « On m’a clairement dit que je ne passerai jamais responsable de service car je suis malade. » Des travailleuses indépendantes ont aussi indiqué ne pas avoir pu honorer des contrats ou avoir perdu des clients à cause de la pathologie.
Malgré les freins potentiels pour leur carrière, plus de la moitié des femmes atteintes de l’endométriose ont informé leur employeur de leur état de santé, alors que rien ne les y oblige légalement. Généralement, elles en parlent après une absence prolongée, causée par exemple par une intervention chirurgicale, ou des absences répétées. Certains employeurs peuvent se montrer compréhensifs, en proposant des aménagements de poste ou d’horaires, de manière informelle ou en concertation avec la médecine du travail. Mais près d’un dixième de celles qui ont informé leur supérieur hiérarchique qu’elles souffraient d’endométriose a subi des propos intrusifs ou malveillants, du harcèlement moral ou une mise au placard.
Un vécu marqué par un sentiment d’illégitimité
Les femmes atteintes d’endométriose sont souvent confrontées depuis des années à la banalisation de leur souffrance, tant par l’entourage que par les médecins. En l’absence d’une reconnaissance de leur pathologie comme enjeu de santé au travail, une sur cinq ne se sent pas légitime à demander un arrêt maladie. Ces femmes culpabilisent et appréhendent la réaction de leur environnement professionnel et de leur médecin. Toutes ne bénéficient pas non plus d’un maintien de salaire en cas d’arrêt de travail, et elles redoutent les pertes de salaire associées aux jours de carence, qui s’appliquent à chaque arrêt.
Si l’endométriose était intégrée à la liste des affections longue durée (ALD), les malades pourraient bénéficier d’une prise en charge réduisant l’impact de ces jours de carence, ceux-ci n’étant retenus que lors du premier arrêt, et ce pour une période de 3 ans. Beaucoup d’entre elles se rendent donc au travail, malgré des symptômes handicapants. Lorsqu’elles y ont droit et qu’il est possible d’anticiper les crises – si ces dernières ont lieu surtout pendant les règles et que le cycle menstruel est régulier –, elles posent des jours de congé et de RTT pour éviter les arrêts de travail.
En définitive, un quart des malades décide de changer de métier ou de statut, afin de concilier au mieux leur vie professionnelle avec la maladie. Certaines font notamment le choix de passer au statut d’indépendant, afin de bénéficier d’une certaine autonomie au prix d’une perte de leurs droits sociaux. D’autres cherchent à devenir fonctionnaire dans l’espoir que ce statut les protège davantage.
Tant que les effets sur la santé de cette maladie extraprofessionnelle ne seront pas pris en compte dans le cadre du travail, les femmes atteintes d’endométriose devront gérer leurs absences ou les bifurcations dans leur trajectoire professionnelle sans soutien ni accompagnement institutionnel. Cela relève alors de décisions et stratégies sous contraintes, s’appuyant sur des ressources individuelles inégalement distribuées entre les malades, selon qu’elles sont en couple ou non, propriétaires ou locataires de leur logement, etc. Bien que l’endométriose ait gagné en visibilité ces dernières années, il demeure essentiel que ses conséquences sur la vie professionnelle des femmes soient mieux évaluées et surtout mieux prises en charge.
« L’endométriose au travail : les conséquences d’une maladie chronique féminine mal reconnue sur la vie professionnelle », par Alice Romerio, Connaissance de l’emploi n° 165, novembre 2020, Centre d’études de l’emploi et du travail, disponible sur le site www.ceet.cnam.fr