De l'espérance de vie des égoutiers de Paris...
Nous avons reçu plusieurs alertes à propos d'une citation d'un article de L'Humanité, repris dans la revue de presse de notre numéro de juillet (page 10), concernant l'espérance de vie des égoutiers parisiens qui serait de 17 ans plus faible que celle de la population générale. Nous avons sollicité l'avis du Pr Marcel Goldberg, épidémiologiste à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
Plusieurs médias ont récemment fait état d'une très importante perte d'espérance de vie des égoutiers de la Ville de Paris : selon une étude de l'Inserm qui serait parue en 2010, cette population aurait une espérance de vie de 17 ans inférieure à celle du reste de la population. Ce chiffre est absolument énorme et ne peut qu'interroger. Il faut donc comprendre ce que cela signifierait s'il était confirmé.
L'espérance de vie est un indicateur démographique et sanitaire. Il s'agit du nombre moyen d'années que vivront les personnes arrivées à un certain âge. Quand on ne précise pas l'âge, il s'agit de l'espérance de vie à la naissance. Ainsi, l'espérance de vie des femmes en France en 2011 était de 84,8 années, et celle des hommes de 78,2 années : cela signifie que les filles nées en 2011 vivront en moyenne 84,8 années et les garçons 78,2, si les conditions de mortalité observées en 2011 ne changent pas d'ici là. Les inégalités sociales et professionnelles de mortalité sont bien établies dans notre pays : les hommes ouvriers ont un taux de mortalité entre 35 et 64 ans qui est 2,2 fois plus élevé que les cadres, ce qui est tout à fait considérable. Mais cela est très loin d'expliquer une perte d'espérance de vie de 17 ans !
Le problème est qu'il s'avère impossible de retrouver l'étude de l'Inserm qui aurait établi ce chiffre, et donc de comprendre sa signification. A quelle population a-t-on comparé les égoutiers : à celle des Français dans leur ensemble ? à celle des habitants de Paris ? Pour quel âge a-t-on calculé l'espérance de vie ? Faute de réponses à ces questions, on ne peut comprendre la signification de ce chiffre.
La seule étude qu'il a été possible de retrouver est un article publié en 20061 , qui rapporte effectivement un excès de mortalité des égoutiers de la Ville de Paris par rapport à la population du département de la Seine-Saint-Denis. Cet excès est de 25 % pour la mortalité toutes causes et de 37 % pour les décès par cancer ; les surmortalités par cancer du poumon (47 %) et par maladie infectieuse (86 %) sont particulièrement élevées. Il est clair qu'une éventuelle surconsommation de tabac et d'alcool ne peut expliquer entièrement cette surmortalité et que différentes expositions professionnelles sont en cause.
Cette étude confirme donc que les égoutiers de la Ville de Paris présentent des risques élevés de mortalité. Ces chiffres seraient d'ailleurs plus importants encore si les auteurs les avaient comparés à la France entière, et non à la population de la Seine-Saint-Denis, qui présente elle-même une surmortalité par rapport à la population française dans son ensemble. Mais ils sont très loin de représenter une perte de 17 ans d'espérance de vie... Alors même qu'il existe un vrai problème de santé dans cette profession, il n'est certainement pas de bonne politique d'avancer des chiffres discutables pour défendre un point de vue justifié.
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"Mortality among Paris sewage workers", par P. Wild et al., Occupational and Environmental Medicine n° 63, mars 2006.