"L'Europe peut devenir plus progressiste"
Pourquoi l'amélioration des conditions de travail est-elle une de vos préoccupations majeures ?
Judith Kirton-Darling : Je viens de Middlesbrough, dans le nord-est de l'Angleterre, un bastion syndical au coeur d'une grande zone industrielle de chimie et de sidérurgie. J'ai commencé ma carrière à Bruxelles comme responsable du service politique pour le mouvement Quaker. Je suivais l'élaboration de la charte des droits fondamentaux au sein de comités de travail avec les syndicats. Entrer dans le syndicalisme fut donc dans la suite logique. De 2011 jusqu'à récemment, j'ai été en charge des questions de santé et de sécurité au travail à la CES [Confédération européenne des syndicats, NDLR]. J'ai alors passé plus de temps à défendre des droits existants en santé et sécurité au travail qu'à en créer de nouveaux.
J'ai décidé de me présenter au Parlement européen pour succéder à mon député local, Stephen Hughes, qui prend sa retraite. Je considère qu'il a été un des architectes de l'Europe sociale, quand, dans les années 1990, une conjonction de volontés politiques du Parlement, des gouvernements et des syndicats a permis de réguler le temps de travail, les temps partiels, l'intérim, ou encore de créer des comités d'entreprise européens. Depuis 2000, il faut résister à des attaques sur toute la législation.
Si vous êtes élue, pensez-vous que vous aurez davantage d'influence qu'à la CES ?
J. K.-D. : Ce sera une influence différente, car politique et moins pratique. Un député est confronté à un bloc idéologique formé par certains Etats membres, la Commission européenne et BusinessEurope [l'organisation patronale européenne des entreprises du secteur privé, NDLR]. Les attaques de David Cameron, qui a annoncé vouloir "tuer la stratégie en santé et sécurité au travail", ont renforcé mon engagement. Il est le porte-parole d'une petite frange d'entrepreneurs partisans de la dérégulation, alors que la majorité des entreprises ont conscience de l'importance de la santé au travail. Je suis sûre que l'Europe peut devenir plus progressiste.
Quelles revendications porterez-vous ?
J. K.-D. : Les impératifs sont triples. Le plus important est d'évaluer et de prévenir l'exposition aux divers risques. En premier lieu les troubles musculo-squelettiques, dont souffrent un tiers des Européens, avec des effets sur la santé dévastateurs. Il faut aussi vérifier la mise en application de la directive sur les risques chimiques, qui fixe pour objectif l'éradication de l'amiante de tous les bâtiments publics - écoles, hôpitaux... - d'ici à 2022. Et il faut réviser cette directive, car elle est en retard sur certaines substances toxiques dont on collecte les preuves des effets cancérogènes, comme les perturbateurs endocriniens. De manière générale, l'identification des risques pesant sur la santé et la sécurité au travail devrait être aussi fine que dans Reach, le règlement sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et les restrictions des substances chimiques. Enfin, il faut reconnaître les effets sur la santé et le coût économique des risques psychosociaux. Les sanctions prévues dans l'accord sur le stress doivent vraiment être appliquées.
Quelles sont les réformes les plus urgentes ?
J. K.-D. : Il faut renforcer les inspections du travail des Etats membres. Dans le contexte d'austérité, leurs ressources et leurs effectifs ont diminué, ce qui est très problématique vu la montée de la précarisation et du dumping social.
Il faut aussi renforcer la participation des salariés dans les entreprises, car les conditions de travail s'améliorent et les risques diminuent quand l'entreprise a des représentants du personnel et un dialogue social de qualité.