L'évaluation des salariés dans le collimateur
Pour la première fois en France, un tribunal a jugé illicite un système d'évaluation individuelle des salariés basé sur les comportements et autres critères "flous". Les juges sont de plus en plus sensibles au risque d'atteinte à la santé mentale.
Le système d'évaluation des salariés baptisé "e-Valuation" que souhaitait mettre en place le groupe de presse et d'édition Wolters Kluwer France (WKF, Liaisons, Lamy...) a été déclaré illicite, le 5 septembre, par le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre (Hauts-de-Seine). Ce jugement intervient quelques mois après l'arrêt de la Cour de cassation ayant ordonné, fin 20071 , que la mise en place d'un système d'évaluation des salariés doit être soumise à la consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Les juges semblent donc de plus en plus sensibles au risque d'atteinte psychologique des salariés du fait de leurs conditions de travail et de certaines formes de management.
Valeurs floues. D'inspiration anglo-saxonne, le système d'évaluation s'appuyait sur six valeurs : le "focus client", la "création de valeurs", l'"intégrité", le "travail en équipe", l'"innovation" et la "responsabilité". Le TGI a jugé ces valeurs floues et considéré que "la multiplication de critères comportementaux détachés de toute effectivité du travail accompli implique la multiplication de performances à atteindre qui ne sont pas dénuées d'équivoques et peuvent placer les salariés dans une insécurité préjudiciable". Les juges ont estimé que cette insécurité pouvait nuire à la santé mentale.
"Nous n'avons jamais remis en cause le principe de l'évaluation [...], ce qui nous choque ici, c'est le caractère abstrait, subjectif et non adapté à nos métiers", explique Jean-François Rio, délégué du Syndicat national des journalistes (SNJ). De son côté, Mireille Charles, la directrice des ressources humaines de WKF, reconnaît dans le quotidien Les Echos que l'entreprise "a sûrement péché par manque de communication et de pédagogie". Pourtant, les représentants des salariés au comité d'entreprise et au CHSCT avaient émis de sérieuses critiques dès la présentation du système e-Valuation, fin 2007. Le CHSCT craignait notamment que ce système de notation soit source de risques psychosociaux et demandait en conséquence une expertise. Celle-ci fut confiée, début 2008, au cabinet Sextant, avec pour mission d'évaluer l'impact de la mise en place de l'outil sur l'organisation, les conditions de travail et la santé des salariés de WKF.
Le rapport d'expertise a estimé que "l'évaluation des comportements est de nature à affecter le travail, c'est-à-dire l'activité réelle de chaque collaborateur. En effet, au-delà du "savoir-faire" (mesurable par les résultats sur objectifs), l'évaluation des comportements induit des consignes en matière de "savoir-être" (compétences comportementales)". Il concluait : "L'évaluation comportementale [...] nous paraît aller à l'encontre de la préservation de la santé des salariés." Après la décision du TGI de Nanterre, les syndicats du groupe WKF ont souhaité que "ce jugement contribue à protéger les droits et la dignité des salariés dans toutes les entreprises"
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Arrêt "Groupe Mornay" du 28 novembre 2007.