Liaison toxique entre Trump et l’industrie
En organisant la mainmise du monde des affaires sur l’Agence américaine de protection de l’environnement, Trump a infléchi le cours de la politique contre le risque chimique. Au profit des industriels et au détriment, entre autres, des travailleurs.
En juin 2016, au terme de débats houleux, démocrates et républicains du Congrès américain ont adopté le Lautenberg Act, qui rénove la législation fédérale en matière de risques chimiques. Les points forts de cette réforme portent sur une évaluation plus systématique des substances, nouvelles ou non, afin que des mesures préventives puissent être prises en conséquence. La circulation de l’information doit être améliorée, en limitant les cas où l’application d’une clause de confidentialité est accordée aux entreprises. Autant de dispositions dont la mise en oeuvre relève de l’Environmental Protection Agency (EPA ou, en français, Agence américaine de protection de l’environnement ; voir « Repère »). Mais cet organisme fédéral peut-il aujourd’hui remplir sa mission avec l’impartialité et le zèle requis ? On peut en douter.
Un lobbyiste au pouvoir
Dès son accession à la présidence, en 2017, Donald Trump a placé aux postes clés de l’EPA des personnalités issues du monde des affaires. Il a commencé, en février, par nommer à la tête de l’agence un lobbyiste climatosceptique, Scott Pruitt. Une de ses premières décisions a été de refuser l’interdiction du chlorpyrifos, un pesticide toxique pour le développement cérébral. Dix-sept mois plus tard, Pruitt était contraint de démissionner en raison de scandales éthiques. Il a été remplacé par Andrew Wheeler, qui, entre 2009 et 2017, avait oeuvré comme lobbyiste dans une officine dont le client principal était une compagnie minière. Par ailleurs, la composition des principaux comités scientifiques de l’EPA a été modifiée de façon à accroître l’influence de chercheurs travaillant pour l’industrie.
D’après Richard Denison, spécialiste des risques chimiques au sein de l’organisation non gouvernementale Environmental Defense Fund (EDF), la dérive de l’EPA se manifeste sous différentes formes. Tout d’abord, au lieu d’éliminer les risques à la source en interdisant les substances les plus dangereuses quand il existe des alternatives plus sûres, l’agence considère désormais que l’interdiction n’est qu’une solution parmi d’autres. Dans certains cas, une simple mitigation des risques, c’est-à-dire la mise en place de mesures destinées à en réduire les dommages, pourrait suffire. Alexandra Dunn, la nouvelle directrice de l’EPA pour les risques chimiques, a ainsi déclaré que, pour certaines substances, « il peut y avoir des tas de manières différentes de mitiger ou de gérer le risque. Cela peut inclure des notifications, des contrôles du processus, une gestion des volumes de production ou via l’étiquetage. Parfois les gens croient que l’EPA note toutes ces substances avec l’intention de les interdire. Je ne crois pas que cela se passera ainsi ». Ce qui se traduit notamment par le retrait d’une mesure d’interdiction d’un solvant utilisé comme décapant : le dichlorométhane (DCM ou chlorure de méthylène). Des dizaines de milliers de travailleurs y sont exposés, en dépit d’une toxicité aiguë qui provoque des décès chaque année. En 2010, l’Union européenne a interdit le DCM dans la plupart de ses utilisations.
Par ailleurs, l’EPA refuse de prendre en considération les expositions professionnelles des travailleurs dans l’analyse des problèmes en invoquant l’existence d’une autre agence fédérale, l’Occupational Safety and Health Administration (Osha), en charge des questions de santé et sécurité au travail. Cette position ignore le fait que les niveaux d’exposition tolérés pour les travailleurs sont nettement plus élevés que ceux définis pour la population générale. Enfin, les fonctions d’inspection de l’agence ont été mises à mal. Les poursuites pénales qu’elle intente sont passées de 170 en 2016 à seulement 115 en 2017. Il y avait eu 13 500 investigations en 2016 ; elles ont chuté à 10 600 en 2018.
La résistance s’organise
Cette involution a provoqué un conflit majeur avec la Californie, qui représente à elle seule un huitième de la population et près de 13 % du PIB des Etats-Unis. Traditionnellement, chaque Etat peut adopter des législations plus rigoureuses dans le domaine de l’environnement. Mais la réforme de 2016 a renforcé les pouvoirs fédéraux. En août 2019, l’EPA a ordonné de mettre fin, pour les herbicides contenant du glyphosate, à l’étiquetage avertissant du risque de cancer. Or, la législation californienne impose cette information. La Californie a riposté en adoptant une loi visant à maintenir les normes en matière d’environnement et de santé au travail quand bien même le gouvernement fédéral en exigerait l’abrogation. La loi est symbolique et le gouverneur démocrate de l’Etat ne l’a pas fait entrer en vigueur. Mais elle illustre l’acuité du conflit dans un pays déchiré par la brutalité et le cynisme de son Président. Et Trump a opté pour l’escalade. Le 18 septembre, il abrogeait une disposition de 1968 qui autorisait la Californie à adopter des normes plus strictes en ce qui concerne les émissions des moteurs d’automobiles. Face à l’administration Trump, la résistance s’organise. Le 26 novembre, les rédacteurs en chef de six revues savantes ont lancé un appel mettant en garde contre un projet qui écarterait de nombreuses études scientifiques du processus d’évaluation de l’EPA, sous prétexte de rendre celui-ci « plus transparent ».