Liaisons dangereuses
Alors que depuis les affaires du sang contaminé, de l'hormone de croissance, de la vache folle et de l'amiante, la France s'est dotée d'un dispositif complet de sécurité sanitaire, le scandale du Mediator est venu rappeler combien ce système censé garantir la santé publique était encore fragile.
Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a montré comment le laboratoire Servier avait réussi à " rouler dans la farine " les autorités sanitaires. " La raison principale de cet échec collectif est à rechercher dans l'insuffisance de culture de santé publique et en particulier dans un principe de précaution fonctionnant à rebours ", écrivent les rapporteurs. Et de préciser : " Le doute bénéficie non aux patients et à la santé publique mais aux firmes. " Au-delà, la mission de l'Igas a aussi déploré le poids des liens d'intérêts, financiers ou d'une autre nature, entre les experts contribuant aux travaux scientifiques et les grands laboratoires, allant même jusqu'à décrire une situation " structurellement et culturellement en conflits d'intérêts ", " une coopération institutionnelle avec l'industrie pharmaceutique qui aboutit à une coproduction des expertises et des décisions qui en découlent ".
On aurait tort de penser que cette dérive inquiétante du dispositif de sécurité sanitaire ne touche que la pharmacovigilance. Tous les champs de la santé publique sont concernés, à commencer par celui de la santé au travail, qui doit faire face, lui aussi, à un lobbying du monde économique, toutes industries et organisations confondues, sans cesse plus prégnant et plus audacieux. Ainsi, plusieurs observateurs de la dernière réunion du Conseil d'orientation sur les conditions de travail ont été surpris par la vindicte des représentants patronaux à propos d'une banale étude scientifique sur la pénibilité proposée par l'administration. Il était clair qu'ils revendiquaient le contrôle de l'angle de la recherche et de la compétence de l'équipe de chercheurs qui la mènerait.
Et il est tout aussi limpide que, dans l'ensemble des organismes participant au dispositif de sécurité sanitaire du travail, la contribution des représentants patronaux est davantage guidée par la défense des intérêts des entreprises que par la préservation de la santé des travailleurs. Au premier rang de ce dispositif se trouvent les services de santé au travail (SST), dont la réforme, actuellement en discussion au Parlement, s'apprête à tourner le dos à ces principes fondamentaux de santé publique rappelés dans le rapport de l'Igas. Il en est ainsi du conflit d'intérêts permanent et généralisé dans lequel sont plongés les directeurs de ces SST, à qui pourtant cette réforme veut faire jouer un rôle plus important dans la prévention. Il en est ainsi également de la confusion entre évaluation et gestion des risques, dans laquelle le Parlement pourrait installer les médecins du travail. Et que dire de la négociation d'objectifs entre l'administration du travail et les directions administratives des SST, alors que cette même administration est chargée de contrôler leur bon fonctionnement ? N'est-on pas là en pleine " coopération institutionnelle ", entre ceux qui créent le risque et ceux dont la mission de santé publique est précisément de le prévenir ?
Il serait quand même opportun que le Parlement, qui a fort justement lancé une mission d'information sur le Mediator, se préoccupe de la portée de ce qu'il s'apprête à voter sur la médecine du travail.