Libérer le travail
Ça bouge un peu. Alors que nous regrettions dans notre dernière livraison que les politiques se tiennent à l'écart du travail et que cette question soit absente du débat électoral, ce thème est revenu dans les discussions. Que ce soit lors des débats durant les primaires ou dans leurs meetings respectifs, les candidats ont fait entendre leurs différences sur les expositions professionnelles aux pesticides et aux perturbateurs endocriniens, sur la réparation des maladies psychiques professionnelles, sur le compte pénibilité, sur le temps de travail ou encore sur la démocratie dans l'entreprise. On progresse ! Enfin, les questions de l'intensification du travail, de l'usure professionnelle et de son influence sur l'espérance de vie en bonne santé, de la qualité de vie au travail ont été mises sur la table. Cela a été notamment le cas à l'occasion de l'audition des candidats par la Mutualité française le 21 février, dans le cadre de son initiative "Place de la santé". Ou encore le 16 mars, quand la CFDT les a également auditionnés, au moment de la restitution de son enquête "Parlons travail"1
Mais comme on part de très loin, il est à craindre que le débat politique en reste aux risques physiques, au temps de travail, à la réparation des atteintes à la santé, aux dangers de certaines formes d'emploi précaire. Après tout, ce ne serait déjà pas si mal, car les contraintes et nuisances physiques agressives n'appartiennent pas à une France industrielle du passé. Les effectifs exposés ont diminué mais restent importants. De plus, parmi les métiers du tertiaire, figurent les professions du nettoyage, du soin ou de la grande distribution, où les sollicitations physiques sont fortes. Et puis n'oublions pas ce gros tiers de salariés exposés à des produits chimiques, ou encore tous ceux qui rencontrent des problèmes de santé liés à leurs mauvaises conditions de travail et qui perdent leur emploi pour inaptitude.
Oui, c'est important de s'attaquer à ces questions, mais ce n'est pas suffisant.
S'il ne fallait retenir qu'un seul enseignement de l'enquête de la CFDT, à laquelle ont répondu 200 000 personnes, ce serait celui de la corrélation très forte entre la mauvaise santé au travail, les facteurs de risques psychosociaux et le manque de liberté dans le travail. Liberté de s'exprimer, de mettre ses idées en pratique, de s'organiser, de coopérer, pour pouvoir faire un travail de qualité, dont on peut éprouver de la fierté et dans lequel on peut se reconnaître. Il faut donc enfin s'attaquer au modèle de management, sans doute le problème principal. Celui-ci reste marqué par une distance et une division entre ceux qui décident, ceux qui savent et ceux qui sont censés exécuter. Il est urgent de restituer aux salariés de tous niveaux des capacités d'anticiper, de réfléchir ensemble, de peser sur les décisions productives, de faire valoir surtout le point de vue du travail.
Cela passe par des réformes majeures dans la gouvernance des entreprises et des administrations, mais aussi par la rénovation du droit d'expression, par l'invention de nouvelles règles du dialogue social et de la représentation du personnel. Il s'agit de changer le travail pour changer la vie. Cela concerne tout autant les politiques que les partenaires sociaux.
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Voir "Le travail reste un moyen d'épanouissement", entretien avec Hervé Garnier, Santé & Travail n° 97, janvier 2017 ; "Santé et liberté au travail sont corrélées", page 13 de ce numéro.