« L'indemnisation intégrale des victimes AT-MP en cas de faute inexcusable est un minimum »
Dans une lettre ouverte signée avec d’autres associations, la Fnath réaffirme ses attentes en matière d’indemnisation des accidents du travail et maladies professionnelles. Pour sa présidente, Nadine Herrero, les salariés touchés devraient pouvoir prétendre à une réparation comparable à celle de toutes les victimes de dommages corporels.
Avec d’autres associations, vous venez d’adresser une lettre ouverte à la ministre du Travail et de l’Emploi concernant l’indemnisation des victimes d’accidents du travail et des maladies professionnelles (AT/MP). Quelles sont vos attentes ?
Nadine Herrero: Cette lettre ouverte demande au gouvernement de reprendre les amendements votés par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale concernant l’article 24 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2025). Cet article amendé par les députés apporte quelques avancées, en particulier la possibilité pour les victimes de choisir une indemnisation des préjudices sous la forme d’un capital et non d’une rente. C’est un point important pour les victimes dont l’espérance de vie est réduite.
Par ailleurs, la rédaction de l’article 24 établit une indemnisation sur deux versants, le préjudice professionnel et le déficit fonctionnel permanent (DFP) selon des barèmes qui restent à définir. Si les inconnues restent, de fait, nombreuses, il est néanmoins prévu que les associations représentant les victimes participent aux commissions construisant ces référentiels d’indemnisation. Elles ont une connaissance de terrain et une expertise technique qui peuvent enrichir le travail des partenaires sociaux, il serait dommage de s’en passer.
Pour autant, nous considérons que les mesures envisagées représentent une maigre avancée pour les victimes d’AT/MP.
Que manque-t-il au texte pour améliorer véritablement la réparation ?
N. H. : La Fnath demande la réparation intégrale des préjudices en cas de faute inexcusable de l’employeur. Les victimes d’AT-MP sont toujours considérées comme des sous-victimes, ce n’est pas acceptable. Elles restent indemnisées selon un régime dérogatoire du droit commun en raison d’une législation très ancienne datant de 1898. Certes, celle-ci admet la présomption d’imputabilité, mais cette reconnaissance se fait au prix d’une très faible indemnisation des victimes. L’écart entre l’indemnisation d’un accident de la route par exemple et celle d’un accident du travail peut aller de un à dix, voir beaucoup plus.
Prenons un exemple. Aujourd'hui, si vous allez faire vos courses dans un magasin de grande distribution et que vous vous blessez à la suite d’une chute sur le sol glissant de l’établissement, celui-ci va vous indemniser de l’ensemble des préjudices, pertes de salaire, souffrances, aménagements du domicile, recours à une tierce personne… L’indemnisation se fait le plus souvent à l'amiable dans le cadre des transactions entre assurances. Mais le salarié qui chute dans les mêmes conditions aura seulement une rente accident du travail, fixée en fonction de ses séquelles et de son salaire.
Quelles peuvent être les conséquences pour les victimes de cette indemnisation partielle ?
N. H. : J’ai en tête l’accident d’une jeune ingénieure chargée d’expertiser une station d’épuration défectueuse. En voulant vérifier le fonctionnement d’une vis sans fin, elle déclenche fortuitement l’outil qui lui arrache les deux bras. L’accident du travail est évidemment reconnu, avec un taux d’incapacité permanente de 100 %, de même que la faute inexcusable de l’employeur. Mais, toute sa vie, cette salariée devra recourir à une tierce personne pour les actes du quotidien. Or, le système d’indemnisation ne finance cette aide que jusqu’à la consolidation de l’accident. Après, c’est la prestation de compensation du handicap, la PCH, donc la solidarité nationale, qui prendra en charge ces dépenses, et non pas les employeurs, via la branche AT-MP.
Pour mener une vie indépendante, s’occuper d’un enfant, cette jeune femme aurait besoin d’une prothèse sophistiquée. Le dispositif coûte deux millions d’euros. Et, ici encore, il ne sera pas financé par l’assurance de l’employeur, puisque ce n’est pas prévu dans la législation…ni par la MDPH, dont la nomenclature n’intègre pas ces prises en charge exceptionnelles.
Si elle avait subi les mêmes blessures dans un accident de la circulation, tous ces frais auraient été payés par les assurances, cela n’aurait même pas été discuté. Elle aurait même été indemnisée de l’incidence professionnelle, parce qu’aujourd’hui, à 27 ans, elle se retrouve dans l’incapacité de travailler. Alors qu’en droit commun, on voit le système d’indemnisation évoluer et s’affiner avec des évolutions de jurisprudence, la situation des accidentés du travail, elle, n’a pas progressé. C’est pourquoi nous considérons que l'indemnisation intégrale en matière de faute inexcusable est un minimum.
Outre cette réparation intégrale, vous défendez une obligation d’assurance pour les employeurs. Pour quelle raison ?
N. H. : En effet, cette assurance obligatoire fait partie des préconisations de notre Livre blanc, diffusé en juillet auprès des députés et des sénateurs. Il plaide pour que les victimes des AT-MP soient indemnisées comme les autres victimes. Au titre de la Fnath, je siège à la commission de recours amiable de la Caisse primaire d’assurance-maladie de Toulouse et je suis frappée de voir que celle-ci est saisie par des employeurs condamnés pour faute inexcusable et qui n’ont pas les moyens de payer les sommes qui leur sont réclamées. La CPAM avance ces sommes à la victime puis se retourne contre l’employeur pour les récupérer.
Récemment, dans une petite entreprise, l’une des deux salariés a été gravement blessée après une chute. L’employeur n’était pas assuré. Dans l’impossibilité de payer les indemnisations découlant de la faute inexcusable, il a obtenu une exonération partielle. C’est fou de se dire que les entreprises sont assurées pour les accidents qui pourraient toucher leurs clients ou des visiteurs, mais pas pour les risques encourus par leurs propres salariés. Concrètement, ici la Sécurité sociale paye à leur place. On lui fait jouer un rôle qu’elle n’a pas à jouer.
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