L’INRS tente de prévenir les futurs maux du travail
Dans un exercice prospectif sur les modes de management du travail en 2040, l’Institut national de recherche et de sécurité souligne les dangers liés aux algorithmes, à la diversification des statuts d’emploi et à l’éclatement des lieux de travail.
Comment le travail sera-t-il piloté en 2040 ? Dans un travail de prospective présenté lundi 20 novembre, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) apporte une réponse plutôt pessimiste à la question. « Ce que vous allez entendre n’est pas forcément très gai », a souligné en guise d’introduction Renaud Buronfosse, président (Medef) de cet organisme paritaire.
Pour imaginer les « modalités de pilotage de l’activité d’ici à 2040 », l’INRS s’est fondée sur l’extrapolation de plusieurs dynamiques actuelles : plateformisation du travail, poursuite de l’automatisation, développement des outils de communication, évolution du rapport au travail, culture du résultat, volonté de démocratie interne ou effets du changement climatique… Ces paramètres, parfois contradictoires, ont été combinés entre eux de différentes manières afin d’imaginer huit exemples fictifs d’entreprises du futur, situés dans des secteurs-clés de l’économie (grand âge, bâtiment, économie circulaire…).
Entre salariat et bénévolat
Cet exercice de « design fiction », effectué avec l’appui de la revue Futuribles, spécialisée dans la prospective, donne par exemple naissance aux « Harmoniales », un établissement qui accueille à la fois des personnes âgées, une crèche ainsi qu’un espace de coworking. Y domine le travail en journées de 12 heures ou en quatre jours, afin de permettre aux personnels salariés de l’établissement de mieux gérer leur vie personnelle. Les actifs souhaitant utiliser l’espace de coworking peuvent quant à eux l’occuper en échange d’heures de bénévolat auprès des personnes âgées ou de jeunes enfants.
Pour Agnès Aublet-Cuvelier, adjointe au directeur des études et recherches à l’INRS, cette hybridation des statuts entre salariat et bénévolat est presque déjà une réalité : « On a pu lire récemment dans la presse le cas d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes proposant un logement étudiant en échange de quinze heures d’activités auprès des personnes âgées. » L’exemple fictif des « Harmoniales » permet d’explorer ce que seraient les conditions d’exercice de ces néo-bénévoles. « Au regard du devoir ressenti de venir en aide aux personnes, en plus de son activité habituelle, se pose la question des risques de surcharge et de surinvestissement », prévient Agnès Aublet-Cuvelier.
Protection sociale ubérisée
Autre scénario présenté : la plateforme numérique « France inclusive ». Cet outil mettrait en relation des travailleurs migrants agréés par l’État avec des secteurs en tension (livraison, transport, gardiennage, nettoyage…). Une montre connectée les informerait de leurs missions tout en suivant leur état de santé. Rémunérés par une « allocation » et, dans le même temps, logés, formés et couverts par une protection sociale, ces travailleurs seraient notés par leurs clients. Un exemple des plus « dystopiques » pour Thomas Coutrot, chercheur à l’Institut des recherches économiques et sociales (Ires), mais qui s’inscrit dans des tendances déjà à l’œuvre avec le développement du management par les algorithmes.
De ces différents scénarios, l’INRS veut retenir plusieurs leçons. Il alerte notamment sur les effets « délétères » du numérique dans le pilotage de l’activité, le délitement des collectifs de travail lié à la diversification des statuts, le décalage croissant entre les « valeurs » et les conditions de travail, ou encore la perte des savoir-faire techniques et de sécurité dans des environnements éclatés et sans management de proximité. L’intervention des préventeurs serait rendue plus difficile du fait d’un éclatement des lieux de travail et d’« une dilution de l’obligation de sécurité », liée à la coexistence de différents statuts (CDI, intérim, sous-traitance, travail indépendant…) au sein d’une même activité.
Une clarification réglementaire nécessaire
En conséquence, afin de construire un « contexte favorable à la prévention », l’INRS estime que « l’intégration de l’ensemble des travailleurs sous un même régime d’assurance AT/MP [accident du travail/maladie professionnelle, NDLR] serait de nature à faciliter et légitimer les interventions des préventeurs externes et à faciliter le suivi de l’état de santé de tous les travailleurs ». Actuellement, les autoentrepreneurs n’ont pas l’obligation de cotiser à cette assurance. Par ailleurs, « une clarification réglementaire concernant les personnes physiques et morales responsables en cas d’accidents du travail ou de maladies professionnelles » serait à encourager, afin que la prévention « soit organisée tout au long de la chaîne de valeur ».
Tous ces messages-clés en faveur d’une meilleure régulation font consensus au sein de l’organisme paritaire. Vont-ils être entendus ? C’est ce qu’espère Thomas Coutrot. « Le gros problème, c’est que les constats que partagent les chercheurs, experts et préventeurs n’intéressent pas assez les décideurs », déplore-t-il.