Les livreurs à vélo Deliveroo en ont plein le dos
Les prud’hommes viennent de reconnaître l’existence d’un contrat de travail entre la plateforme Deliveroo et un livreur à vélo. Mais les coursiers se rebiffent aussi contre leurs conditions de travail et souhaiteraient une expertise de l’Anses. Certains ont boycotté les livraisons de dîners romantiques le 14 février.
Officiellement, les quelque 11 000 coursiers de Deliveroo ne sont pas salariés. Sauf un. Décision logique après l’arrêt de la Cour de cassation de novembre 2018 concernant un livreur d’une autre plateforme (Take eat easy), un juge départiteur du conseil de prud’hommes de Paris a requalifié en contrat à durée indéterminée la prestation de service d’un livreur à vélo. Celui-ci avait pédalé pendant six mois pour Deliveroo comme autoentrepreneur. « Avec tous les inconvénients du salariat sans aucun des avantages de l’indépendance », ainsi que l’a résumé son avocat, Kevin Mention, lors d’une conférence de presse organisée le 12 février par le Collectif des livreurs autonomes parisiens (Clap). A cette occasion, Me Mention a appelé les livreurs à le contacter en vue de mutualiser les dossiers.
Dans cette affaire, toutes les preuves de la subordination du coursier à l’entreprise britannique ont été apportées. Elle a été condamnée pour travail dissimulé, avec le versement d’une indemnité de 30 000 euros au plaignant. Dans la foulée, le Clap a décidé de se constituer en syndicat et d’appeler au boycott, le 14 février, des plateformes de livraison de repas. Certains ont en outre bloqué l’accès à la dark kitchen de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) ; dans cette « cuisine partagée » appartenant à Deliveroo, des restaurateurs louent des box pour la préparation à la chaîne de plats commandés en ligne et livrés par les coursiers de l’entreprise1
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Une charge pouvant aller jusqu’à 20 kilos
Le jour de la Saint-Valentin, les livreurs Deliveroo étaient donc moins nombreux à foncer sur les pistes cyclables, un gros cube bleu et noir sur le dos. Bien rempli, celui-ci peut peser jusqu’à 20 kilos. Pas facile de pédaler avec cette charge sur les épaules, d’autant que ces sacs ne sont pas du tout ergonomiques. « Ils ne sont pas collés à notre corps et ça casse le dos », indique Arthur Hay, ancien livreur Deliveroo, aujourd’hui secrétaire général du syndicat CGT des coursiers à vélo de Gironde. La plateforme a mis un terme à leur « collaboration » à partir du moment où le Bordelais, excédé par ses conditions de travail éreintantes, s’est rapproché de la CGT pour créer le premier syndicat de la profession en France, en novembre 2017. Lequel constate une montée des troubles musculo-squelettiques (TMS) chez les cyclistes. Beaucoup souffrent de mal de dos remontant jusqu’au cou et aux mains, sur lesquelles ils s’appuient en permanence.
Au-delà du ressenti et des témoignages de ces travailleurs uberisés, quelle est la réalité de leurs conditions de travail ? Du fait de leur statut d’indépendant, aucune statistique officielle n’existe. C’est pourquoi le syndicat prépare une saisine de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) afin que cet organisme étudie les risques pour la santé des livreurs à vélo et leur accidentologie. Un point important pour Arthur Hay, désormais salarié de la coopérative Coursiers bordelais : « Les sacs en forme de gros cube créent les angles morts très dangereux, d’où des chutes fréquentes. »
Dangereuse course contre la montre
Le Clap dénonce aussi la baisse de la rémunération des livreurs Deliveroo intervenue début juillet 2019: Résultat, les plateformes numériques attirent des travailleurs de plus en plus précaires. Lesquels roulent sur des bicyclettes non sécurisées, sans casque, sans formation. « Récemment, j’ai croisé un livreur qui roulait sans lumière la nuit, témoigne Arthur Hay. Je l’ai interpellé pour lui en donner une de secours. Il a freiné avec les pieds pour s’arrêter, le câble de son frein arrière pendait. »
Payés à la livraison, tous les cyclistes se lancent dans une course effrénée contre la montre, grillant les feux rouges pour remettre les plats à temps. Depuis le 1er janvier 2018, les plateformes numériques doivent prendre en charge l’assurance couvrant les risques d’accident du travail de leurs prestataires. Toutefois, « les indemnités sont si faibles que, bien souvent, les livreurs reprennent le travail avant d’être en état de le faire », déplore le syndicaliste. Comme cet étudiant et coursier, Tom, qui raconte dans une vidéo postée le 25 janvier s’être « fait rouler sur le corps » par une voiture. Malgré des côtes fracturées, il a réenfourché sa bicyclette quelques jours plus tard, « même si au niveau du souffle, c’est un peu chaud ». Mais il lui faut prendre des commandes pour ne pas dégrader le niveau de ses statistiques. Car plus celui-ci bas, moins les coursiers ont accès aux créneaux de livraison, ce qui met en péril leur rémunération.
« Contrairement à ce que Deliveroo aimerait faire croire, livrer des plats cuisinés n’est pas une activité d’appoint mais la principale occupation professionnelle d’une majorité de coursiers, qui exercent à temps plein ou, s’agissant des étudiants, à temps partiel », assure Arthur Hay. Une situation qui provoque bien des méfaits.
- 1Dans un article du 13 février, "L’Humanité" décrit les conditions de travail peu reluisantes de ces « cuisines de l’ombre » qui ont vocation à se multiplier en France.