« Une logique économique éloignée de la santé publique »
Au cours de notre enquête, beaucoup de témoignages ont mentionné l’existence d’un « trésor de guerre » amassé par les services de santé au travail interentreprises (SSTI)…
Jean-Michel Sterdyniak : Ce qui est sûr, c’est qu’on est dans une gestion trop souvent opaque des SSTI, par rapport à leur mission. Même si 80 % des sommes collectées auprès des entreprises adhérentes servent à payer des salaires, cela génère un flux financier important et les services ont accumulé un patrimoine immobilier conséquent, avec des bureaux, des cabinets médicaux et des sièges aux dimensions parfois pharaoniques. Cela suscite des convoitises et crée des tensions entre les diverses composantes patronales qui tiennent les rênes.
Une autre dimension, moins spectaculaire, c’est que les conseils d’administration des services fonctionnent comme toute structure : leur priorité, c’est de faire rentrer l’argent dans les caisses et donc d’attirer le maximum d’entreprises. Pour cela, il ne faut pas déplaire… Cette logique économique est souvent très éloignée, voire incompatible avec notre mission de santé publique.
Pourtant, la réforme de 2011 a installé des contre-pouvoirs, avec une gestion paritaire. N’est-ce pas suffisant ?
J.-M. S. : On est sur une prétendue gouvernance paritaire, mais, dans les faits, les syndicats ne sont pas formés, les commissions de contrôle et les conseils d’administration sont des chambres d’enregistrement des décisions des directions, et les trésoriers ne sont pas vraiment acteurs du contre-pouvoir attendu. Il faut également souligner que l’administration devrait exercer un contrôle des services, mais là aussi, elle ne dispose en pratique d’aucun pouvoir réel pour sanctionner un service qui sort des rails.
Que pensez-vous de la création d’établissements régionaux tripartites employeurs-syndicats-Etat et de la perception des cotisations des entreprises par l’Urssaf, mesures préconisées par le rapport Lecocq remis au Premier ministre en août 2018 ?
J.-M. S. : Cela va dans le bon sens. Nous réclamons depuis longtemps une organisation sous forme d’agences régionales de santé au travail avec un pilotage national. Comme la présence de l’administration dans les conseils d’administration d’établissements régionaux, la perception des cotisations par l’Urssaf peut permettre d’éviter les dérives de la gestion des services. A condition toutefois que les sommes encaissées aillent bien toutes à la santé au travail. Et puis pour faire quoi ? Le problème des propositions Lecocq, c’est qu’elles enferment la santé au travail dans une logique de prestation de services aux entreprises. Et toutes les annonces d’Emmanuel Macron sur le sujet ne vont pas dans le sens de la création d’une véritable politique de santé au travail pour les salariés.