La loi de 1898, fruit d’un compromis social
Au XIXe siècle, l’ouvrier victime d’un accident industriel ne pouvait obtenir réparation que s’il démontrait la faute de son patron, en vertu des règles de la responsabilité civile. Mission impossible ou presque... Dans ces conditions, près de 90 % des victimes ne percevaient aucune indemnité. Dans un contexte de développement industriel, avec sa myriade d’accidents, les juges et la doctrine se sont rapidement saisis de cette impasse juridique. Et le 9 avril 1898, après dix-huit ans de débats parlementaires houleux, la loi sur la réparation des accidents de travail était adoptée.
Cette loi repose sur un compromis social, un « deal en béton ». L’ouvrier n’a pas à démontrer la faute du patron dans la survenance de son accident pour être indemnisé. En échange, le patron est doublement protégé. Tout d’abord, il n’a pas à réparer l’intégralité des séquelles subies par le travailleur, qui perçoit une réparation forfaitaire. Ce forfait s’applique pour le même type de séquelle à tous les salariés concernés, quel que soit leur âge, leur sexe, leur métier. Il se traduit par le versement d’un capital pour les séquelles les moins graves, par une rente viagère pour celles qui le sont plus. Ensuite, le patron bénéficie d’une relative immunité : le travailleur ne peut pas aller rechercher sa responsabilité civile devant les tribunaux, même s’il peut invoquer sa responsabilité pénale.
Pas d’impunité
Une seule exception au tableau : la faute inexcusable de l’ouvrier ou du patron. En effet, l’immunité totale de l’un ou de l’autre, quelles que soient les conditions de survenance de l’accident, présentait un caractère immoral, injuste. Le patron ne pouvait pas être dégagé de toute responsabilité, en cas d’incurie manifeste. Et il aurait été impensable de voir un ouvrier ayant provoqué un accident « renté et pensionné aux frais de celui-là même qu’il a peut-être ruiné », tel que formulé à l’époque. En cas de faute inexcusable de l’employeur, la quotité de l’indemnisation perçue par l’ouvrier est augmentée. Elle est réduite si c’est lui qui a commis une telle faute.
Il faudra attendre vingt ans pour que le régime soit étendu aux maladies professionnelles, par la loi du 25 octobre 1919. Après tout, celles-ci n’étaient-elles pas avant tout imputables au manque d’hygiène des ouvriers ? C’est ce que laissaient entendre les débats parlementaires, au cours desquels il a pu être avancé « que les allumettiers ne contracteraient pas la nécrose s’ils avaient une bonne dentition et des gencives saines ». Ce système, qui relevait des assurances privées, a ensuite intégré la toute jeune Sécurité sociale en 1946.