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L’organisation du travail des plateformes accroît les risques pour la santé

par Camille Bernagout / 01 avril 2025

Dans un rapport d’expertise et un avis, l’agence de sécurité sanitaire (Anses) pointe les effets délétères des conditions de travail des livreurs des plateformes numériques sur leur santé et formule des recommandations. 

On leur a vendu la liberté d’entreprendre, ils connaissent souvent l’enfer d’un travail esclavagisé. Les livreurs de repas des plateformes numériques ont fait l’objet de nombreuses enquêtes journalistiques. Ils disposent maintenant d’un avis et d’un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, l’Anses, qui objective l’impact sur leur santé des risques professionnels auxquels ils sont confrontés. 
Saisie par la CGT, l’agence conclut à « des effets cumulés à court, moyen et long termes sur la santé physique et mentale des livreurs de repas des plateformes numériques », comme on peut le lire dans le résumé mis en ligne sur le site de l’Anses, le 26 mars 2025.

« Une situation anxiogène »

Dans le détail, l’avis relève des « risques propres à l’activité de livraison à deux roues, et plus particulièrement à vélo en milieu urbain (efforts, postures, nuisances sonores, thermiques, etc.) », avec des conséquences en termes de traumatologie liée aux accidents et de troubles musculosquelettiques (TMS).  Mais les études et les analyses rassemblées par les experts qui ont planché sur le sujet « font ressortir un certain nombre d’aspects spécifiques à l’organisation du travail par les plateformes qui accroissent les risques d’atteinte à la santé ». Avec des effets sur la santé mentale. « Pour les livreurs, peut-on lire, l’absence de rémunération des temps d’attente, l’opacité des règles d’attribution des courses et la multiplication des métriques d’évaluation (données de géolocalisation, notations, etc.) créent une situation anxiogène, qui incite à essayer en permanence « d’en faire plus » pour dégager un revenu correct : répondre plus vite aux notifications, livrer plus vite, rester connecté plus longtemps, être connecté aux heures où il y a le plus de demandes (soirs, week-end, jours de mauvais temps)... 

« Des stratégies d'auto-accélération »

C’est cette combinaison de facteurs délétères liée notamment au management algorithmique qui génère des effets sur la santé mentale. L’intelligence artificielle qui gère la planification et la distribution des tâches entraîne une pression constante qui amène les livreurs à élaborer des « stratégies d'auto-accélération », avec, par exemple, des prises de risques sur la route, une limitation du temps d’échange avec la clientèle ou le restaurateur. « Celles-ci les exposent à un risque d’épuisement physique, cognitif et émotionnel, soutient l’avis. Ces facteurs favorisent la survenue de burn-out, de dépression, d'anxiété ». 
A cela viennent s’ajouter des effets néfastes sur la santé des livreurs liés aux horaires atypiques et à la perturbation des rythmes circadiens.
Estimant que les conclusions de l’expertise sont établies « avec robustesse », l’Anses formule de nombreuses recommandations au législateur et aux pouvoirs publics et notamment de « renforcer les obligations des plateformes numériques en matière de santé et sécurité au travail », afin que celles-ci « mettent en application les obligations légales en matière de santé et sécurité figurant dans la partie IV du Code du travail », pour tous les livreurs, quel que soit leur statut, salarié ou indépendant. 
L’agence recommande également de mettre en place une couverture sociale professionnelle et d’assurer un dialogue social efficace. Elle insiste sur la nécessité d’une limitation du temps de travail quotidien et hebdomadaire du livreur assortie d’un contrôle.


Enfin, on retiendra que l’agence suggère aux autorités « de veiller à la prise en compte des effets sur la santé identifiés et des recommandations formulées en matière de santé et de sécurité » à l’occasion de la transposition en droit français de la directive européenne sur les travailleurs des plateformes adoptée en mars 2024. Quand on sait que la France s’est résolument opposée à son adoption et que le texte laisse une grande marge de manœuvre aux Etats membres, l’amélioration du sort de ces travailleurs « ubérisés » est loin d’être acquise. 

 

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