Lucie Goussard et Guillaume Tiffon : "Sur la santé au travail, les syndicats s'organisent"
Sociologues, ils ont codirigé l'ouvrage Syndicalisme et santé au travail. Ils soulignent ici l'hétérogénéité des pratiques syndicales relatives à une problématique désormais incontournable pour les militants.
Pourquoi avoir choisi d'aborder le sujet de l'action syndicale en santé au travail ?
Lucie Goussard : Depuis une quinzaine d'années, les recherches en sciences sociales se sont multipliées sur la santé au travail, mais la manière dont les syndicats envisagent cette question y est traitée de biais, rarement de façon frontale. C'est pourtant une question cruciale parce que les acteurs syndicaux sont de plus en plus sollicités par des salariés en situation de mal-être. C'est en outre un sujet qui prend de l'ampleur au niveau des instances de négociation, que ce soit sur la qualité de vie au travail ou les risques psychosociaux. Or, autant sur les salaires ou l'emploi les équipes syndicales peuvent s'appuyer sur des modalités d'action solidement établies, autant sur la santé au travail on constate plus de tâtonnements, d'hésitations, de controverses, voire de désaccords entre organisations syndicales, et même au sein de chacune d'elles. Il nous a paru important de faire le point sur ces pratiques.
Avez-vous pu établir une typologie de ces pratiques ?
Guillaume Tiffon : C'est assez varié et c'est une grande hétérogénéité qui ressort, d'une section locale à une autre, d'une fédération ou d'une confédération à une autre. Au niveau local, ces différences tiennent finalement moins à la couleur syndicale qu'à la culture syndicale de l'entreprise et à la sensibilité des militants locaux.
Au niveau confédéral, on observe tout de même une montée en puissance globale de la problématique, y compris dans les syndicats qui ont longtemps refusé d'aller sur le terrain de l'employeur pour parler d'organisation du travail. À la CGT, on relève un profond changement de paradigme sur ces questions. Chez Solidaires, elles prennent aussi beaucoup d'ampleur, avec notamment les journées "Et voilà le travail" ou les formations proposées aux militants sur les risques psychosociaux, les CHSCT et les pratiques d'enquête.
Justement, quels sont les moyens d'action les plus utilisés par les syndicats ?
L. G. : La formation, déjà. Certaines organisations syndicales créent par ailleurs des espaces de discussion, en organisant des journées d'échange entre militants, mais aussi avec des chercheurs, des experts CHSCT. Le recours à l'expertise CHSCT est également un levier très important. Les recherches-actions sont, quant à elles, plus circonscrites à certains contextes. Mais elles favorisent l'autonomie, selon certains militants : des chercheurs les forment à recueillir la parole des salariés, ce qui leur permet de renouer avec la base et d'élaborer des revendications à partir de difficultés observées. C'est l'occasion de "détechniciser" les débats pour les repolitiser. Car les organisations syndicales investissent de plus en plus le terrain de la science, pour fonder leurs revendications sur des propos experts. Or cela peut constituer un piège, les directions ayant des moyens plus importants pour s'entourer de spécialistes.
G. T. : Cela dit, la problématique des recherches-actions reste la même que celle des expertises CHSCT : toute la difficulté consiste à s'emparer des éléments des rapports pour les transformer en revendications, créer un rapport de force avec les employeurs et infléchir, in fine, leur politique de prévention en matière d'organisation du travail. Après, nous espérons que les ordonnances Macron ne freineront pas cet élan syndical sur les enjeux de santé au travail. Le risque, avec la fusion des instances représentatives du personnel, c'est que les forces syndicales s'amenuisent et qu'il y ait moins d'expertises CHSCT...
Syndicalisme et santé au travail. Quel renouvellement de la conflictualité au travail ?, par Lucie Goussard et Guillaume Tiffon (dir.), Editions du croquant, 2017.