© AdobeStock
© AdobeStock

L’usure professionnelle en débat dans la fonction publique

par Joëlle Maraschin / 02 novembre 2020

Consultées sur un projet de décret relatif à la prévention de l’usure professionnelle dans la fonction publique, les organisations syndicales se montrent réservées sur le dispositif proposé, jugé trop individualisant. Les négociations continuent.

L’usure professionnelle n’a jusqu’à présent jamais fait l’objet d’un texte réglementaire. Les négociations en cours dans la fonction publique sur le sujet constituent donc une première. Elles découlent de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, qui stipule que ce processus d’altération de la santé due au travail doit désormais être pris en compte. Sont concernés dans le texte de loi « les emplois présentant un risque d’usure professionnelle ». Mais le projet de décret de la direction générale de l'Administration et de la Fonction publique (DGAFP), présenté au début de l’été aux organisations syndicales, propose quant à lui d’identifier « les agents présentant un risque d’usure professionnelle ». Un glissement du collectif à l’individu que dénoncent l’ensemble des syndicats.
« On passe d’une analyse des risques à une identification des maillons faibles, du collectif à l’individu, des obligations de l’employeur en matière de protection de la santé et de prévention primaire à une logique RH de réparation », déplore Hervé Moreau, en charge des questions de santé au travail à la FSU. Pour la FSU, il est indispensable que le CHSCT – ou la future commission spécialisée en santé, sécurité et conditions de travail issue de la fusion des instances représentatives discutée en ce moment – contribue à l’identification des emplois exposant au risque d’usure professionnelle, afin de faire reculer ces situations. « La prévention de ce risque passe par un traitement collectif du sujet et l’évaluation de la pénibilité des métiers », renchérit de son côté Carole Chapelle pour la CFDT Fonctions publiques. Une démarche de prévention collective qui supposerait de mettre en débat les conditions de travail et l’organisation du travail. Or, « dans le public comme dans le privé, l’organisation reste la chasse gardée des employeurs », fait observer Carole Chapelle.

Des simples entretiens de carrière ?

Pour en revenir au futur décret, celui-ci cadre la mise en œuvre d’entretiens de carrière. Les employeurs décideront des modalités d’identification des agents exposés à un risque d’usure et de l’organisation des entretiens. Pour repérer les risques d’exposition, ils disposeront d’un questionnaire fixé par arrêté du ministère. L’entretien lui-même donnera lieu à l’élaboration d’un document dans lequel seront mentionnées les possibilités d’évolution professionnelle de l’agent, les formations auxquelles il pourra accéder.
Sans être opposées à de tels entretiens, les organisations syndicales estiment que leur finalité demeure floue. Se pose en particulier la question de ce qui sera mis en œuvre concrètement par la suite. « Des entretiens, avec qui, pour quoi faire, et avec quelles perspectives ? », se demande Isabelle Godard, qui participe aux négociations pour la CGT. « Si on ne donne pas les moyens d’améliorer les conditions de travail, de reclasser et former, je ne vois pas bien les bénéfices pour les agents », souligne-t-elle. La CFDT estime que le décret devrait être complété par un guide ou un mode d’emploi à l’usage des employeurs, afin que les entretiens puissent être suivis d’effets, notamment en termes de formation et d’évolution professionnelle. « Il est évident qu’un entretien ne va pas régler le problème, constate Carole Chapelle. La prévention de l’usure professionnelle et de la pénibilité doit être abordée dans le futur plan santé au travail. »

Problème de définition

La définition même de l’usure professionnelle ne fait pas consensus. « Ce projet de décret nous a été soumis sans que nous n’ayons de définition de l’usure professionnelle, ce qui est quand même un problème », relève Isabelle Godard. « C’est une gageure d’élaborer un décret sur l’usure professionnelle, une notion qui n’a pas reçu de définition juridique ou scientifique », confirme Elodie Fourcade, sous-directrice des politiques sociales et de la qualité de vie au travail à la DGAFP. « Il est possible que le décret évolue, nous allons nous donner du temps », continue-t-elle.
Pour répondre à ce problème, la DGAFP a invité mi-octobre plusieurs experts en santé au travail, afin de présenter aux partenaires sociaux la notion d’usure professionnelle. « Il ne s’agit pas de nous positionner sur les négociations en cours mais plutôt de contribuer aux réflexions », précise Marion Gilles, sociologue et chargée de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Pour l’Anact, l’usure professionnelle est un processus d’altération de la santé lié à la répétition dans le temps d’expositions à des contraintes de travail, physiques, cognitives ou psycho-sociales. Des régulations, comme le fait de disposer de marges de manœuvre, de pouvoir coopérer, d’avoir du soutien de la part de l’encadrement, mais aussi des facteurs pouvant contribuer au développement de la santé, comme la reconnaissance, la possibilité d’apprendre ou de bien faire son travail, peuvent ralentir voire enrayer le processus. Une approche autour des contraintes et régulations au travail qui pourrait être complémentaire à celle par risques sur la pénibilité.

à lire également