Maladies professionnelles : controverse sur la révision du tableau TMS
Aux yeux des syndicats CGT et CFDT comme de la Fnath-Association des accidentés de la vie, les modifications préconisées pour le tableau de maladies professionnelles 57A menacent les possibilités de reconnaissance des troubles musculo-squelettiques de l'épaule.
Imposées il y a deux ans par le ministère du Travail avec le soutien de l'Assurance maladie et du patronat1 , les négociations autour de la révision de l'ensemble du tableau de maladies professionnelles n° 57 sur les troubles musculo-squelettiques (TMS) semblent plutôt mal parties, à en juger par la colère de plusieurs organisations syndicales. Les premiers travaux de la commission spécialisée relative aux pathologies professionnelles au sein du Conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct) ont concerné les modalités de reconnaissance des TMS de l'épaule, fixées par le tableau 57A. Les enjeux sont de taille, car ces pathologies représentent près de la moitié des 13 595 TMS ayant donné lieu à une incapacité permanente en 2008. Sources d'un handicap douloureux, elles conduisent aussi souvent à l'exclusion de l'emploi pour inaptitude.
Suite à un rapport d'experts médicaux, des modifications du tableau 57A ont été soumises aux partenaires sociaux de la commission les 30 septembre et 9 décembre derniers. Seuls les représentants de la CFDT et de la CGT ont voté contre la nouvelle rédaction du tableau, les délégations des autres organisations de salariés y étant pour leur part favorables. Les changements préconisés par la commission portent tout d'abord sur les désignations des maladies concernées. Les termes " épaule douloureuse simple " et " épaule enraidie " seraient remplacés par le terme " tendinopathie de la coiffe des rotateurs, sans ou avec rupture ".
" Formulation inadmissible "
Mais c'est surtout la révision de la troisième colonne du tableau, à savoir la liste limitative des travaux susceptibles d'entraîner ces maladies, qui a provoqué la colère des délégations CFDT et CGT. Le tableau actuel mentionne des " travaux comportant habituellement des mouvements répétés ou forcés de l'épaule ". Le projet de la commission retient le terme médical de " travail en abduction ", mouvement qui consiste à écarter le coude du corps, avec des angles de 60 ou 90°. Qui plus est, il introduit une notion de durée journalière d'exposition de 2 h 30 ou 3 h 30. " La formulation de cette colonne est inadmissible ", s'insurge Jean-Luc Raymondaud, de la délégation CFDT. Alain Carré, médecin du travail et représentant de la CGT à la commission, est lui aussi atterré par les préconisations retenues : " C'est un recul important pour la reconnaissance des TMS de l'épaule. Il n'est pas question que la CGT accepte ce sabotage. " François Martin, vice-président de la Fnath-Association des accidentés de la vie, non présent lors du vote de septembre dernier, dénonce quant à lui un " passage en force " du patronat pour limiter la reconnaissance des TMS.
Pour ces trois organisations, les nouveaux critères sont non seulement abusivement restrictifs, mais inapplicables. On voit mal, en effet, comment un salarié pourrait prouver qu'il a travaillé en abduction avec un angle supérieur à 60°, et ce pendant une durée journalière cumulée d'au moins 2 h 30. " Va-t-il falloir chronométrer le poste de travail ? ", s'interroge avec stupéfaction Marie Pascual, médecin du travail et membre de la délégation CFDT. Jean-Luc Raymondaud note, de son côté, que le rapport des experts présenté à la commission n'évoquait à aucun moment ce facteur temps ; cette notion aurait été introduite sous la pression des organisations patronales pour limiter les possibilités de reconnaissance. Contactées par Santé & Travail, ces dernières n'ont pas souhaité s'exprimer.
La CFDT et la CGT font, de fait, la même analyse de la stratégie patronale, à savoir une remise en cause du compromis social autour de la présomption d'imputabilité. Rappelons que le système de réparation est fondé sur les 114 tableaux de maladies professionnelles. Si le salarié répond à l'ensemble des critères - affection concernée, travaux susceptibles de la provoquer et délai de prise en charge -, il n'a pas à prouver le lien de causalité entre sa pathologie et son travail, en vertu du principe de la présomption d'imputabilité. Lorsque toutes les conditions ne sont pas remplies ou qu'il n'existe pas de tableau pour la pathologie, la victime ou la caisse de sécurité sociale peut solliciter le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP). " En introduisant cette notion de durée journalière cumulée, impossible à mesurer par le salarié ou la caisse, l'objectif du patronat est bien de renvoyer les dossiers devant le C2RMP ", considère Jean-Luc Raymondaud. Animateur d'une permanence syndicale en Alsace destinée à l'accompagnement médico-légal des salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, ce militant sait que le passage devant le C2RMP relève toujours du parcours du combattant. " C'est la porte ouverte à l'arbitraire, tant les décisions des C2RMP sont différentes d'une région à l'autre ", ajoute François Martin.
" Scientifiquement honnête "
Les représentants des syndicats CFE-CGC et FO, médecins du travail par ailleurs, ont cependant accepté les modifications du tableau 57A. François Becker (CFE-CGC) estime logique et juste que les tableaux des maladies professionnelles puissent évoluer en fonction des connaissances scientifiques : " Avec le tableau précédent et son flou artistique, on faisait prendre en compte tout et n'importe quoi. A terme, le système de réparation aurait pu s'écrouler et ce sont encore les plus démunis qui auraient trinqué. " Il reconnaît que la refonte pourrait réduire le nombre de bénéficiaires, mais il assure qu'il sera dès lors possible de gagner en indemnisation si les seules maladies professionnelles sont prises en compte. Pour Michel Colin (FO), cette révision s'imposait également. " Les critères sont fumeux, ce tableau est ridicule du point de vue des connaissances médicales ", justifie-t-il. A la différence de son collègue de la CFE-CGC, il pense que les modifications préconisées ne devraient pas entraîner une diminution de la reconnaissance des TMS de l'épaule. " Je n'ai pas de crainte, il y aura moins de décisions arbitraires de la part des caisses, puisque les critères retenus sont scientifiques ", ajoute-t-il. Expliquant son vote, il précise que son étiquette scientifique a primé, plutôt que celle de militant syndical.
Paul Frimat, rapporteur du groupe de travail sur le tableau 57 et professeur en médecine du travail, partage les avis des partenaires sociaux favorables aux modifications préconisées. " Le tableau ainsi rédigé est scientifiquement honnête, il comporte de vraies maladies avec de vrais diagnostics, soutient ce spécialiste. C'est un gain énorme pour la protection des salariés. " Il déplore par ailleurs le " manque de responsabilité " des organisations patronales et salariées autour de la révision de ce tableau, plus focalisées selon lui sur les enjeux du débat social que sur les aspects médicaux. Mais pour la CFDT et la CGT, les enjeux sont médico-sociaux avant d'être scientifiques. Pour ces organisations, il s'agit aussi d'une volonté manifeste de restreindre les possibilités de reconnaissance d'une pathologie particulièrement invalidante, alors que le volet pénibilité de la récente réforme des retraites permet un départ anticipé uniquement en cas d'incapacité médicalement constatée.
- 1
Voir Santé & Travail n° 65, janvier 2009, page 19.