
Maladies professionnelles : il est urgent de renouveler les tableaux
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a formulé des recommandations afin de mettre à jour les tableaux de reconnaissance des maladies professionnelles en fonction des connaissances scientifiques récentes, et de simplifier l’accès des salariés à la réparation et à l’indemnisation.
La sous-reconnaissance des maladies professionnelles, un phénomène massif qui coûte chaque année à la branche maladie de la Sécurité sociale environ 1,2 milliard d’euros, est en partie liée à l’obsolescence des tableaux de maladies professionnelles (TMP), qui n’intègrent pas les connaissances scientifiques les plus récentes. La Direction générale du Travail a donc saisi l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en mars 2023 afin qu’elle réalise un travail d’expertise visant à fournir les éléments justifiant la mise à jour des TMP, et l’évolution des conditions d’accès à ces tableaux.
« Avec le certificat initial, l’inadéquation des tableaux fait partie des principales difficultés des salariés qui veulent obtenir la reconnaissance de l’origine professionnelle de leur maladie », explique Alain Prunier, vice-président de la Fnath (Association des accidentés de la vie). L’obsolescence des tableaux contribue de plus à l’embolisation des CRRMP, les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles chargés d’analyser les dossiers des malades qui ne remplissent pas toutes les conditions d’un tableau.
Des tableaux à réviser, d’autres à simplifier
Le groupe de travail qui a planché sur le sujet, recommande dans l’expertise publiée en décembre 2024, la révision complète de certains tableaux, comme, par exemple le RG 57 « Affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail » ou le RG 98 « Affections chroniques du rachis lombaire provoquées par la manutention manuelle de charges lourdes ». Pour d’autres tableaux, l’expertise préconise en premier lieu de simplifier leurs titres pour éviter « les restrictions empêchant la prise en compte de toutes les situations d’exposition ou de maladies ». Exemple : « BPCO (broncho-pneumopathie chronique obstructive) du mineur de charbon », titre du tableau n° 91 du régime général, qui restreint l’accès à la reconnaissance en maladie professionnelle à une seule profession.
« Il faudrait par ailleurs simplifier les délais de prise en charge et harmoniser le régime agricole et le régime général, sachant que l’on a parfois des variations qui vont de cinq à dix ans », explique Henri Bastos, directeur scientifique Santé Travail de l’Anses. Alain Prunier approuve :« Rien ne justifie qu’un salarié du régime agricole soit moins bien ou mieux traité qu’un salarié du régime général. Les données médicales sont les mêmes. » Il partage aussi les conclusions de l’Anses concernant les délais de prise en charge et cite l’exemple du tableau n°30 bis qui concerne le cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante. « Ce tableau mentionne un délai de prise en charge de 40 ans, sous réserve d’une exposition de 10 ans alors que la survenue de la maladie peut être plus tardive avec une durée d’exposition moindre », précise Alain Prunier.
Des tableaux à créer pour les cancers professionnels
Concernant les tâches susceptibles d’exposer les salariés à tel ou tel toxique, l’Anses suggère des listes « plus ouvertes » et « indicatives » autant que faire se peut plutôt que « limitatives ». Au-delà de ces mises à jour, l’Anses préconise la création de nouveaux tableaux. « Vingt-cinq sites de cancers différents ont été identifiés comme étant liés, avec un niveau de preuves avéré, à trente-trois cancérogènes professionnels, sans que les associations identifiées ne fassent l’objet d’un TMP », relève le groupe de travail. Sur ce sujet, les experts insistent sur la nécessité de prendre en compte les multiples expositions des salariés, sachant que c’est un angle mort des TMP. « Les polyexpositions sont peu ou pas prises en compte, regrette Alain Prunier, de même que les expositions indirectes et passives. »
Pour Giovanni Prete, sociologue du risque et de la santé au travail et vice-président du groupe de travail de l’Anses sur les maladies professionnelles, ce sujet des polyexpositions est « délicat car depuis le début du XXe siècle, le système de reconnaissance est basé sur le principe « une exposition, une maladie ». La polyexposition – si elle correspond aux conditions de travail réelles – peut être utilisée pour remettre en cause ce principe de la présomption d’origine, ce qui n'est pas sans inquiéter les syndicats de défense des salariés. « Elaborer un tableau de maladies professionnelles qui prend en compte plusieurs facteurs de risques, c’est un vrai défi en termes méthodologiques », ajoute Henri Bastos. Mais l’agence va devoir trouver des solutions puisqu’elle doit plancher, par exemple, sur la mise en place d’un tableau pour le cancer du sein qui devra prendre en compte tout à la fois le travail de nuit, l’exposition à des substances chimiques et les rayonnements ionisants.
Autre angle mort sur lequel le groupe de travail appelle à se pencher : celui des effets reprotoxiques d’expositions professionnelles. Il n’existe pour le moment aucun tableau relatif à ces effets, et aucune pathologie de ce type n’a fait l’objet d’une reconnaissance, alors même que selon l’enquête Sumer de 2017, des millions de salariés sont exposés à de tels produits au quotidien. « Ce que l’on espère maintenant, termine Alain Prunier, c’est que les budgets permettent à la CS4, la commission spécialisée n°4, au sein du régime général, et à la Cosmap, la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture, de bâtir au plus vite de nouveaux tableaux. »
Tableaux de maladies professionnelles nécessitant une mise à jour, Avis de l’Anses. Rapport d’expertise collective, 2024.
Maladies professionnelles : un système complémentaire à bout de souffle, par Catherine Abou El Khair, Santé &Travail, 3 septembre 2024.
Cancer et pesticides : ce tableau qui fait défaut, par Nolwenn Weiler, Santé & Travail, 25 février 2022.