Malaise chez les contrôleurs de sécurité

par Corinne Renou-Nativel / 07 mai 2015

Bousculés par les évolutions de leur métier, les contrôleurs de sécurité des Carsat manifestent le besoin d’échanger entre pairs sur leurs difficultés. Les premières assises de la prévention, organisées le 20 mars par leur association, leur en ont donné l’occasion.

Il y a comme un malaise chez les contrôleurs de sécurité et les ingénieurs-conseils. Et c’est pour échanger sur les difficultés éprouvées dans l’exercice de leurs missions que près de 200 de ces agents des services prévention des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) ont assisté, le 20 mars, aux premières assises des métiers de la prévention, organisées à l’initiative de l’Association nationale des contrôleurs de sécurité (ANCS). La direction des Risques professionnels de la Caisse nationale d’assurance maladie, quant à elle, n’avait pas jugé utile d’y envoyer ses représentants. « Nous n’avons pas su faire comprendre notre intention d’un dialogue ouvert et constructif », regrette Didier Carton, président de l’ANCS. « Nos modalités d’intervention évoluent sans que nous ayons trouvé l’espace pour en discuter entre pairs, ajoute-t-il. Il nous paraissait pertinent de créer ce lieu de débat en y associant l’ensemble des parties prenantes. Nous voulions inventer cet espace d’expression collective et alimenter une réflexion transverse afin de gagner en efficacité et en reconnaissance. Nous voulions également être force de proposition autour de difficultés rencontrées et redevenir acteurs de l’évolution de nos métiers, toujours dans l’objectif d’assurer un meilleur accompagnement des entreprises en matière de prévention des risques. »

Transformation de l’environnement professionnel

Ce besoin d’échanges est corrélé à l’évolution du métier, elle-même liée à une transformation de l’environnement professionnel, à savoir les entreprises auprès desquelles interviennent les préventeurs : exigence de productivité accrue, développement de nouveaux secteurs d’activité (plateformes logistiques, centrales d’appels téléphoniques...) généralement peu matures en prévention… Comme l’explique Claude Vadeboin, psychologue du travail au service prévention de la Carsat Rhône-Alpes et vice-présidente de l’ANCS, « aux approches classiques – par risques, par types d’organisation –, il faut en ajouter d’autres. L’une d’elles consiste à se faire connaître et reconnaître par les acteurs influents des entreprises comme des consultants en matière de performance, pour les amener à intégrer le lien entre cette dernière et la santé au travail ».

Perte d’autonomie

Au sein de la Sécurité sociale, les contraintes budgétaires pèsent aussi sur le métier : « Les choix stratégiques pour y faire face impactent les règles du métier du préventeur, à l’exemple du programme TMS Pro, conçu pour un ciblage de masse de ce problème de santé publique », poursuit Claude Vadeboin. Ces politiques globales inscrites dans les conventions d’objectifs de gestion (COG) jouent un rôle important dans le sentiment d’une perte d’autonomie, ou à tout le moins de marges de manœuvre, exprimé lors des assises. « La standardisation qu’introduisent certains plans d’action donne à l’ensemble des acteurs un ressenti assez dévalorisant, signale Didier Carton. Nous souhaitons être reconnus comme des professionnels qui développent des stratégies adaptées à ce qu’est l’entreprise où nous intervenons, sachant que pas une ne ressemble à l’autre. » Le souci de l’institution de respecter des contraintes financières se traduit également par la création d’indicateurs visant à établir une évaluation quantitative du travail des contrôleurs de sécurité. Mais ce système d’évaluation ne permet pas de rendre compte du rôle de conseiller en matière de prévention, qui se situe davantage dans une dimension qualitative.

Une dénomination inadéquate

Ces problèmes conjoncturels ne doivent pas cacher des maux plus structurels, estime Robert Cottura, ergonome consultant au cabinet FHC Conseil, qui a participé aux assises : « Que le métier soit bousculé est banal – tous le sont. Là, le malaise est assez ancien, il est lié à la difficulté de se constituer une identité. » Parmi ses causes, une dénomination inadéquate : l’essentiel de l’activité du contrôleur de sécurité correspond à du conseil et à de l’appui dans la mise en place de politiques de prévention. « Le rappel à la loi ou à la norme est une composante du métier, mais il n’est pas réductible à la fonction de contrôle que laisse supposer son nom », indique Robert Cottura.

Isolement

Disséminés sur le territoire français, les contrôleurs de sécurité travaillent dans les entreprises de manière relativement isolée. Un isolement qui augmente ce mal-être, surtout en période de mutation de l’environnement professionnel. Echanger avec ses pairs permet d’inventer plus aisément des réponses adaptées à une situation en perpétuelle évolution, mais c’est aussi un moyen de renforcer un sentiment d’appartenance qui fait peut-être défaut.

Par ailleurs, s’ils sont promoteurs du dialogue social dans les organisations du travail où ils interviennent, les préventeurs n’en font pas eux-mêmes l’expérience. « Or nous savons que c’est un manque potentiellement porteur de risque », rappelle Didier Carton. « Les contrôleurs de sécurité sont donc fondés à s’interroger sur le sens de leur action quand ils ne peuvent pas faire exister en interne le discours qu’ils tiennent en externe, analyse Robert Cottura. Le problème n’est pas que des tensions existent au sein d’une organisation ou d’une institution, mais qu’elles ne donnent pas lieu à des délibérations qui permettraient de parler du métier, de ses pratiques et de ses enjeux, de le faire exister et évoluer. »

« Conforter le sentiment d’appartenance »

Rendre possible ce dialogue est bien le but des organisateurs de cette journée de rencontres, déterminés à renouveler l’expérience l’année prochaine. « Le plus important, dans ces assises, est qu’elles pallient la carence d’un espace de mise en débat de nos métiers, conclut Claude Vadeboin. Leur succès est le signe d’un vrai besoin d’échanger, à partir des pratiques réelles, sur les critères de la qualité du travail, mais aussi de conforter le sentiment d’appartenance – au-delà des statuts – à une même communauté de métiers articulée autour de valeurs partagées. Enfin, soulignons que notre gouvernance nous a manqué. L’ANCS devra donc travailler à créer des conditions d’écoute de cette expression collective. »