
Les malaises mortels questionnent les conditions de travail
L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) pointe les contraintes professionnelles susceptibles d’expliquer les malaises mortels au travail et propose des pistes de prévention, notamment autour des horaires atypiques, du travail à la chaleur et de la pénibilité physique mais aussi de la formation des salariés aux gestes de premiers secours.
Plus de la moitié des accidents de travail mortels sont des malaises sans cause externe identifiée. C’est un fait méconnu sur lequel l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) pour la prévention de accidents du travail et des maladies professionnelles a décidé d’attirer l’attention des employeurs. En 2021, par exemple, sur 645 accidents du travail (AT) mortels enregistrés dans les entreprises relevant du régime général de la Sécurité sociale, 56% étaient des malaises inexpliqués, c’est-à-dire non précédés d’une chute ou d’un choc, pas plus que d’une électrocution ou d’une intoxication. Au vu de ces chiffres, l’INRS a décidé de faire de la prévention de ces malaises une priorité et a lancé une étude pour tenter d’identifier les causes et les circonstances de ces décès.
« Nous avons travaillé à partir des données de la base EPICEA», explique Philippe Hache, coauteur de l’étude et médecin à l’INRS. Créée en 1990, EPICEA collecte depuis 35 ans les accidents du travail mortels significatifs pour la prévention. « Sur les 1403 accidents du travail mortels enregistrés par cette base de 2012 à 2022, 143 sont des malaises mortels et ont fait l’objet de l’étude », qui a été publiée en décembre 2024.
Efforts Intenses
L’analyse des profils des victimes montre que 93% sont des hommes, dont l’âge médian se situe autour de 51 ans. Plusieurs dizaines de métiers apparaissent dans l’étude, mais trois sont les plus représentés : conducteur de poids lourd, professionnel qualifié du bâtiment sur les chantiers gros œuvre, et électriciens du BTP. « Si ces malaises mortels concernent une écrasante majorité d’hommes, c’est notamment parce qu’ils surviennent dans des métiers où les femmes sont moins employées, observe Philippe Hache. De plus, en dessous de 60 ans, les hommes sont trois à quatre fois plus nombreux que les femmes à subir un infarctus du myocarde. Enfin, les fumeurs sont plus nombreux chez les hommes, or le tabac est un facteur de risques pour les maladies coronariennes. »
Quant à l’activité du travailleur le jour du décès, elle est décrite comme « habituelle » (dans 82% des cas. Généralement, la victime se trouve seule au moment où survient le malaise. En analysant les récits anonymisés d’accidents, « on constate que fréquemment la personne est éloignée de ses collègues, en train de faire une pause, justement parce qu’elle ne se sent pas bien. Parfois, ce sont ses collègues qui lui ont conseillé d’aller se reposer. Souvent aussi, juste avant cette pause, des efforts importants ont été faits », constate Philippe Hache qui cite deux exemples. « Dans le premier cas, les salariés devaient livrer des armoires dans un collège, et ont dû les monter par des escaliers compte tenu de leur volume. Cet effort intense a duré plusieurs heures. Dans la matinée, la victime a ressenti des essoufflements, une douleur thoracique, et a dû s’interrompre deux fois pour se reposer. Le malaise est survenu lors de la deuxième pause. »
Dans l’autre cas, le salarié est un menuisier-métallier qui devait remplacer la porte d’un garage chez un particulier avec un collègue. « Le contrôleur de la Carsat précise qu’ils auraient dû être trois pour cette tâche et décrit des efforts importants de manutention, du fait de la taille et du poids de la porte. Le salarié qui se sentait fatigué est allé se reposer, il s’est assis sur le marchepied de sa camionnette et a perdu connaissance. »
Horaires atypiques, postures sédentaires
Le malaise survient donc subitement, et il y a généralement moins d'une heure entre les premiers symptômes et le décès, lequel se produit dans 80% des cas sur le lieu de travail et malgré l’arrivée des secours. Autant de critères qui, pour les chercheurs, apparentent ces malaises à ce qu’on appelle la mort subite de l’adulte, dont l’origine est majoritairement un infarctus du myocarde.
Certains facteurs de risques professionnels sont connus pour favoriser les maladies cardio-vasculaires : horaires atypiques, postures sédentaires, ambiances thermiques extrêmes, poly-exposition froid-bruit, risques chimiques, risques psychosociaux. « Par exemple, travailler de nuit pendant plus de dix ans augmente de façon significative le risque d’infarctus », souligne Philippe Hache. « Dans l’un des cas étudiés, le salarié effectuait depuis plusieurs années la surveillance d’écrans de contrôle, toujours de nuit. Une demi-heure après sa prise de poste, alors qu’il était assis, il a fait subitement un malaise et est mort quelques minutes après. »
Evaluer le risque cardiovasculaire
Dans 50% des cas étudiés, l’étude relève des lacunes dans la prévention. Trois axes d’amélioration ont été identifiés. L’INRS recommande d’abord aux entreprises d’agir en amont, c’est-à-dire sur les facteurs de risques associés aux maladies coronariennes, par exemple en mécanisant certaines tâches ou bien en prenant mieux en compte l’impact des épisodes de chaleur extrême qui se multiplient désormais chaque été.
Il préconise aussi d’améliorer l’organisation des secours. « Face à un malaise cardiaque, on sait que le premier point à améliorer dans la chaine des secours, c'est la réactivité des témoins. Il faut donc sensibiliser les salariés à cette problématique, leur apprendre à reconnaître un arrêt cardiaque, les inciter à alerter immédiatement les numéros d’urgence, leur enseigner les gestes de premiers secours, l’idéal étant de former aussi dans l’entreprise des sauveteurs secouristes. » Enfin, la visite de mi-carrière doit être mise à profit pour évaluer le risque cardiovasculaire du salarié et le retentissement des contraintes professionnelles auxquelles il est, ou a été, exposé.
L’INRS va poursuivre l’analyse de ces malaises mortels survenant au travail pour tenter de mieux saisir les facteurs déclencheurs. Depuis 2023, l’enregistrement de ce type d’accident du travail est devenu systématique dans la base EPICEA. « D’ores et déjà, l’analyse préliminaire des 150 nouveaux cas, reçus en moins d’un an, conforte l’ensemble des constats publiés dans l’étude INRS couvrant la période 2012-2022 », souligne Philippe Hache qui note néanmoins « beaucoup plus de situations de malaise mortel associé à une forte chaleur ».
Malaises mortels au travail : apports de la base EPICEA, Hache P., Peclet S., Tissot C., revue Références en santé au travail, INRS, décembre 2024.
Le déréglement climatique, menace pour la vie des bûcherons par Bérénice Soucail, Santé &Travail, 22 août 2024.