"Manager sans trahir ses valeurs"
Nominé au Stylo d'or 2015, Manager sans se renier1 se veut une réponse aux dilemmes professionnels que rencontrent les managers. Entretien avec Jean-Paul Bouchet, coauteur de l'ouvrage et secrétaire général de la CFDT cadres.
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Manager sans se renier, par Jean-Paul Bouchet et Bernard Jarry-Lacombe, Les Editions de l'atelier, 2015. Le livre a été nominé au Stylo d'or 2015, prix décerné par Personnel, la revue de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH).
La CFDT a publié récemment plusieurs documents consacrés aux managers et aux cadres. Pourquoi vous semble-t-il important d'être à l'écoute de ces publics ?
Jean-Paul Bouchet : Il s'agissait en premier lieu de répondre à une demande des managers syndiqués à la CFDT. Qui, aujourd'hui, parle du management, hormis les cabinets de conseil et les directions des ressources humaines ? Les organisations syndicales ne se sont pas vraiment approprié ces questions. Or de nombreux managers exercent dans un contexte de forte instabilité liée aux réorganisations permanentes, qu'ils sont censés "accompagner". Ils se disent stressés par le rythme de l'activité, la pression des résultats, le reporting - qui occupe un tiers de leur temps -, mais aussi par le malaise qu'ils perçoivent chez leurs collaborateurs. Nous avons décidé de leur ouvrir un espace de parole, afin qu'ils puissent s'exprimer sur leur quotidien, leurs pratiques, mais aussi leurs dilemmes professionnels. Cela nous a permis d'éditer un guide du manager1 . Nous avons ensuite retravaillé ce matériel pour un livre plus "grand public", Manager sans se renier, qui rassemble des témoignages concrets sur lesquels nous apportons notre éclairage. Dans le prolongement, nous avons diffusé, en octobre dernier, un manifeste des droits et des garanties attachés à la fonction cadre.
Que veut dire pour vous manager sans se renier ?
J.-P. B. : C'est avant tout ne pas trahir ses valeurs et son éthique personnelle. Mais c'est aussi ne pas ignorer les effets de nos décisions sur le monde dans lequel nous vivons. Car la responsabilité sociale et environnementale des organisations est encore loin d'être une réalité. Le manager, dans son quotidien, n'échappe pas aux contradictions et peut à tout moment faire face à des dilemmes professionnels ou éthiques, en situation de tension, de conflit de valeurs. Dans ce contexte, il y a un risque de se renier. La CFDT a ouvert sur ce thème, il y a quelques années, le service d'écoute DilemPro. Ceux qui ne peuvent, faute d'espace de parole, parler des choix qu'ils sont amenés à faire, coincés entre la politique managériale de leur entreprise et leur aspiration à manager autrement, sont ceux qui vont le plus mal.
De fait, les managers d'aujourd'hui sont-ils en souffrance ?
J.-P. B. : Les managers n'en parlent pas en ces termes, mais ils nous disent que le travail est de plus en plus complexe, que les dilemmes sont de plus en plus importants. Surtout, ils souhaitent retrouver du pouvoir d'agir. Acteur de l'organisation du travail, le manager doit y associer ceux qui vont faire le travail, premiers experts de leur activité, et rester à l'écoute des autres parties prenantes. Or, généralement, les ressources, méthodes, outils de gestion, objectifs de qualité sont imposés, faisant de lui un exécutant et un contrôleur du travail. Il faut donc repenser en profondeur le management. Nous n'avons pas de recette toute faite, mais sommes convaincus qu'un autre management est possible, en remettant l'humain au coeur des stratégies managériales.
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Cadres n° 462, décembre 2014.