
Marylise Léon : « Le gouvernement devrait imposer une négociation sur l’organisation du travail »

"Le travail que nous voulons" : la CFDT rend publiques ses revendications en faveur d'un travail porteur de sens et facteur de santé. Sa secrétaire générale, Marylise Léon, épingle les organisations patronales pour leur manque d'ambition sur cette question.
En janvier dernier, vous avez publié un document revendicatif, "Le travail que nous voulons". Pourquoi ?
Marylise Léon : C’est une attente énorme des salariés d’être écoutés sur le sujet du travail. On l’a vu lors des manifestations contre la réforme des retraites : ils veulent avoir les moyens de bien faire leur travail et terminer leur vie professionnelle en bonne santé. Pourtant, nous n’arrivons pas à imposer ce sujet. Les négociations sur le pacte de la vie au travail, qui devaient être l’occasion de traiter notamment des conditions de travail des seniors, ont échoué en avril 2024. L’accord conclu en novembre est avant tout axé sur les questions d’emploi. C’est pourquoi nous voulons continuer à nous mobiliser de notre côté, à la CFDT. Sur le terrain, le travail doit continuer à être un objet de débat. Les sept axes du manifeste reprennent notre vision syndicale du travail.
A quoi va servir cette démarche ?
M. L. : Elle doit permettre aux militants d’avoir un concentré de tout ce qu’il faut savoir aujourd’hui sur le travail. On balaie les grandes questions actuelles, telles que le sens du travail, le pouvoir d’agir des travailleurs et leur participation aux transformations du travail. On diffuse aussi des « fiches revendicatives » sur des sujets précis, comme la pénibilité ou la santé au travail, qui reprennent les principaux constats, propositions de la CFDT et modalités d’action. L’idée, c’est d’être en accompagnement des équipes syndicales qui souhaitent se mobiliser. Les équipes ne savent pas toujours par quel bout prendre le sujet du travail, d’où l’importance de leur apporter des solutions très concrètes, comme le dialogue professionnel, par exemple, pour faire évoluer le management.
Vous militez pour « un travail porteur de santé ». Est-ce le cas aujourd’hui ?
M. L. : Le travail peut être vraiment émancipateur et protecteur de la santé, mais c’est loin d’être le cas pour tout le monde. La pénibilité continue d’être un problème. Il est aberrant que le compte pénibilité ne tienne pas compte des critères ergonomiques, alors que les troubles musculosquelettiques représentent 88% des maladies professionnelles. On a encore un taux d’accidents du travail trop important, un nombre d’accidents mortels en hausse, avec 759 décès reconnus en 2023, soit 21 de plus qu’en 2022. On ne tient pas assez compte des risques psychosociaux et de la hausse des troubles psychiques. Dans nos échanges avec les militants, les problèmes d’invalidité ou d’incapacité, les difficultés à travailler jusqu’à l’âge de la retraite, remontent de plus en plus. Dans la fonction publique territoriale, notamment, des militants nous disent passer leur temps à gérer ce genre de dossiers. On voit bien qu’aujourd’hui, on traite des situations individuelles dramatiques sans se poser la question des causes.
Vous constatez un « vrai problème » français sur la prévention…
M. L. : Le Fonds d'investissement pour la prévention de l'usure professionnelle, le FIPU, est un échec. En 2024, seulement 38 millions d’euros ont été consommés sur un budget disponible de 200 millions d’euros annuels. Au dernier décompte, seules dix branches avaient conclu un accord. C’est ridicule ! Cela prouve que les organisations patronales continuent d’avoir une position dogmatique sur le sujet de la pénibilité. Elles ne veulent pas s’embarquer dans des négociations qui reviendraient à reconnaître que le travail peut être pénible, alors qu’elles n’ont cessé de réclamer les moyens dont elles manquaient pour prévenir l’usure professionnelle. Rien n’a changé sur ce sujet.
Il y a vingt ans, la CFDT combattait déjà le travail « intenable ». Peut-on parler d’une impuissance des syndicats ?
M. L. : Je ne dirais pas que c’est de l’impuissance. Dans les entreprises, on a essayé d’agir contre les conséquences de nouvelles organisations du travail, comme le lean management. Mais ce sujet reste la chasse gardée des employeurs. Et on doit composer avec des entreprises qui sont en restructuration permanente. Ce qui a pesé aussi, c’est la détérioration du dialogue social, avec la disparition des CHSCT et d’une partie des représentants du personnel. Les sujets de santé au travail en paient le plus lourd tribut : dans certains CSE, c’est la 70e question de l’ordre du jour.
Quelles règles faudrait-il changer ?
M. L. : Il faut faire évoluer les ordonnances de 2017 : nous souhaitons la généralisation des commissions santé et sécurités dans les entreprises dès qu’elles comptent plus de 50 salariés, ainsi qu’une garantie sur la présence de représentants de proximité dans les entreprises multisites. Il faut aussi et surtout introduire une négociation sur l’organisation du travail dans le cadre légal, afin de pouvoir parler du nombre d’équipes, de leur composition, des horaires, du contenu du travail... Ce serait le meilleur levier pour nos équipes dans les entreprises. Mais c’est aussi le nerf de la guerre, les organisations patronales n’ont jamais voulu en entendre parler. Au niveau interprofessionnel, le dialogue social sur le travail ne marche pas. Ce serait au gouvernement d’imposer une négociation sur le sujet.