Le médecin du travail peut-il transmettre son alerte au CSE ?
A la suite de notre article sur l’alerte en médecine du travail, paru dans le numéro de janvier, nous avons reçu plusieurs courriers de praticiens qui estimaient que nos réserves sur l’envoi de cette alerte aux représentants du personnel et à l’Inspection du travail n’étaient pas justifiées. Nous avons donc voulu en savoir plus.
« Si le destinataire de l’alerte est exclusivement l’employeur, l’action du médecin du travail se résume à un coup d’épée dans l’eau », déplore Benoît de Labrusse. Ce médecin du travail cite l’exemple d’une entreprise au sein de laquelle il a constaté une forte exposition aux poussières de silice. Pour des raisons de coût, l’employeur s’était abstenu de prendre des mesures de prévention collective. « J’ai transmis l’alerte à l’employeur et au CSE, qui a demandé immédiatement une réunion extraordinaire », se souvient-il. L’alerte, un outil permettant de signaler à l’employeur l’existence d’un risque pour la santé des salariés, est définie par l’article L. 4624-9 du Code du travail. Cet article précise que seules « les propositions et les préconisations du médecin du travail et la réponse de l'employeur » sont transmises au CSE, à l’Inspection du travail et aux agents des services de prévention des organismes de Sécurité sociale.
Refus de l’Inspection du travail
« L’employeur est le seul destinataire de l’alerte, le médecin ne peut la transmettre directement aux autres acteurs », analyse pour sa part Mélissa Menetrier, médecin du travail et auteure de l’article sur le fonctionnement de l’alerte, paru dans le numéro de janvier 2022 de Santé & Travail. D’après elle, une partie des inspecteurs du travail soutient que l’alerte est destinée uniquement aux employeurs. « Dans mon ancien service, nous avons demandé à l’inspecteur du travail si nous pouvions transmettre le contenu de l’alerte aux représentants du personnel. Cela a été un non catégorique », se rappelle Mélissa Menetrier.
Compte-tenu, d’une part, de l’ambiguïté du Code du travail et, d’autre part, de la multiplication des plaintes des employeurs devant le Conseil de l’ordre, les praticiens en santé au travail pourraient être dissuadés d’utiliser cet outil puissant pour inciter les entreprises à prendre des mesures de prévention. « Peu de médecins du travail font des alertes en bonne et due forme. Le plus souvent, ce sont de simples lettres aux employeurs », continue Benoît de Labrusse. Ce praticien, qui transmet systématiquement l’alerte aux représentants du CSE, voire à l’Inspection du travail, précise n’avoir jamais été ennuyé par quelque plainte. Une expérience qui ne peut toutefois être généralisée.
« J’ai toujours mis en copie de mes alertes aux employeurs les représentants du personnel et les syndicats, parfois également l’Inspection du travail. Cela m’a valu un procès devant le Conseil de l’ordre », témoigne Mireille Chevalier, médecin du travail à la retraite et ancienne secrétaire générale du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST). Elle avait transmis son alerte au représentant syndical de la collectivité territoriale concernée par ce signalement.
Conseiller de l’employeur… et des salariés
Elle a été sanctionnée d’un avertissement par le conseil régional de l’Ordre, puis acquittée en appel par le conseil national. « Le Conseil de l’ordre a reconnu que le médecin pouvait légitimement mettre les syndicats de l’entreprise en copie de l’alerte. Un médecin du travail est en effet le conseiller de l’employeur mais aussi des salariés », ajoute-t-elle. Pour éviter aux médecins du travail de telles procédures, Mélissa Menetrier conseille à ses confrères d’informer les membres du CSE qu’une alerte a été lancée. Mais sans en dévoiler le contenu. Les élus du personnel peuvent alors demander le contenu de l’alerte à leur employeur, lequel est tenu de leur transmettre au regard de son devoir d’information du CSE.