Un médecin du travail prié de rentrer dans le rang
Dominique Huez (1), médecin du travail à la centrale nucléaire de Chinon, est convoqué le mardi 7 mai par le Conseil de l’ordre des médecins pour une procédure de conciliation avec un employeur qui l’accuse de faute professionnelle.
Les médecins du travail peuvent-il attester d’une atteinte à la santé des travailleurs ? Le constat d’une altération de la santé mise en lien avec des facteurs professionnels est une de leurs compétences fondamentales. Et pourtant, c’est bien cette pratique au cœur de leur mission qui est aujourd’hui remise en cause par des employeurs, mais aussi par l’Ordre des médecins. La rédaction d’un certificat par le docteur Dominique Huez concernant un salarié de la Société Orys, sous-traitante d’EDF, lui vaut en effet une convocation par le conseil départemental de l’Ordre des médecins d’Indre-et-Loire. Dans un courrier, adressé en mars 2013, il lui est demandé de se présenter devant la commission de conciliation suite à une plainte déposée par Orys. L’entreprise reproche au médecin du travail d’avoir « manqué à ses obligations professionnelles et déontologiques ».
« Maltraitance »
Deux ans plus tôt, en décembre 2011, Dominique Huez, qui exerce à la centrale nucléaire de Chinon, reçoit en urgence médicale un salarié du sous-traitant. L’homme présente un état de santé réactionnel à sa situation professionnelle. Après un long examen médical, le médecin délivre au salarié un certificat médical dans lequel il mentionne que « l’enchaînement de pratiques de “maltraitances de son entreprise” en l’éloignant par rétorsion de son domicile, en lui imposant une fonction pour laquelle il n’a pas de compétences professionnelles et un non-emploi de ses compétences de chargé de travaux, ne peut qu’aggraver de façon délétère les conséquences de sa pathologie psychopathologique post-traumatique ». Pour l’avocat de la société Orys, « le médecin ne doit pas établir de certificat médical imprudent qui pourrait être, par la suite, sujet à interprétation tendancieuse ». Il faut préciser qu’entre-temps le salarié a saisi les Prud’hommes pour harcèlement moral et réclame des dommages et intérêts. Saisi par l’entreprise, le conseil départemental de l’Ordre va jouer un rôle de médiation. « Cette conciliation, précise le courrier reçu par le médecin du travail, a pour but de vous expliquer avec la personne représentant la SAS Orys devant deux membres du conseil départemental, elle permettra soit de trouver un terrain d’entente, soit en cas de non-conciliation la transmission de la plainte à la chambre disciplinaire de 1re instance. » Dominique Huez doit par ailleurs fournir par écrit des explications sur les griefs qui lui sont reprochés.
« Va-t-on me demander de modifier a posteriori un certificat médical ? »
Cette action disciplinaire contre un médecin est habituellement réservée à des patients, à la Sécurité Sociale ou encore à des associations de défense des droits des malades. La procédure de conciliation a été conçue pour trouver une solution amiable et ainsi éviter une longue procédure au plaignant. « Mais quel peut bien être l’objet de cette conciliation lorsque c’est l’employeur même du patient qui la sollicite ? », s’interroge Dominique Huez, étonné de voir le conseil de l’Ordre accepter une telle requête. « Va-t-on me demander de modifier a posteriori à la demande de l’employeur un certificat médical qui lui porte préjudice ? » Si le médecin du travail ne rejette pas l’idée d’apporter des explications sur le contenu du certificat devant ses pairs, il refuse de le faire en présence de l’employeur. « En me demandant de m’expliquer, le conseil de l’Ordre m’amène à transgresser le secret médical. La voilà la vraie faute déontologique ! En outre, ajoute-t-il, je n’ai pas à m’expliquer devant un employeur sur mes pratiques professionnelles. Ce serait contraire à mon indépendance garantie par le Code du travail. »
De nombreux professionnels de la santé commencent à s’émouvoir de cette affaire qui est à l’origine d’une pétition[[http://www.petitions24.net/alerte_et_soutien_aux_drs_e_delpech_d_huez_et_b_berneron]] ayant déjà recueilli plus de 2 000 signatures en trois jours. Car le cas de Dominique Huez n’est pas isolé. Bernadette Berneron, médecin du travail et praticienne au sein d’une consultation hospitalière spécialisée en psychopathologie du travail, a été également convoquée par le conseil départemental d’Indre-et-Loire à la suite d’une plainte déposée par… EDF. La cause ? Une lettre rédigée à l’intention du médecin traitant d’une intérimaire employée par EDF et qui souffre d’une atteinte à la santé liée à des risques psychosociaux. Pour le Syndicat national des professionnels de santé au travail (SNPST), l’objectif est clairement d’intimider les médecins du travail : « L’action disciplinaire n’a pas d’autre objectif que d’obtenir une condamnation individuelle du praticien avec l’objectif de peser sur les pratiques des médecins du travail qui pourraient aller à l’encontre des intérêts des employeurs. Cette demande de conciliation, poursuit le syndicat, nous paraît contraire à la déontologie médicale et porter atteinte à l’indépendance du médecin du travail. »
A l’évidence, le conflit qui s’amorce dépasse, de très loin, le cadre départemental et, au vu de la mobilisation du petit monde de la santé au travail autour de cette affaire, chacun a bien compris que c’est le sens même du métier de médecin du travail qui est en jeu.
(1) Le Dr. Huez est membre du comité de rédaction de Santé & Travail depuis sa création.