Les médecins du travail vent debout contre le projet de loi El Khomri

par Rozenn Le Saint / 29 février 2016

L’avant-projet de loi de la ministre du Travail, Myriam El Khomri, comporte en son article 44 une réforme de la médecine du travail. Un projet qui ne passe pas auprès des professionnels, avec le maintien de la détermination de l’aptitude pour les postes à risque.

Près d’un an après qu’un copilote de la Lufthansa s’est donné la mort et a provoqué celle de ses 149 passagers, la ministre du Travail, Myriam El Khomri, entend impliquer les médecins du travail dans la détection des sujets à risque. C’est l’un des points significatifs de la réforme de la médecine du travail portée par l’article 44 de son projet de loi sur la refonte du Code du travail. Alors qu’il est prévu de supprimer, enfin, l’aptitude à l’embauche, celle-ci serait maintenue pour les postes à risque.

Sécurité de tierces personnes

« Tout travailleur affecté à un poste présentant des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité, celles de ses collègues ou des tiers évoluant dans l’environnement immédiat de travail bénéficie d’un suivi individuel renforcé de son état de santé, indique le futur article L. 4624-2 défini dans l’avant-projet de loi. Ce suivi comprend notamment un examen médical d’aptitude permettant de s’assurer de la compatibilité de l’état de santé du travailleur avec le poste auquel il est affecté, afin de prévenir tout risque grave d’atteinte à sa santé ou sa sécurité, celles de ses collègues ou des tiers évoluant dans l’environnement immédiat de travail. Cet examen médical d’aptitude est réalisé avant l’embauche et renouvelé périodiquement. Il est effectué par le médecin du travail sauf lorsque des dispositions spécifiques le confient à un autre médecin. »

Ainsi, la ministre du Travail a choisi de donner au médecin du travail le rôle d’estimer l’aptitude d’un salarié à assurer la sécurité de tierces personnes. Or les professionnels de la santé au travail, eux, ne souhaitent pas être assimilés à une médecine de contrôle, qui donne les autorisations, notamment aux pilotes d’Air France, de voler ou non, sur la base de tests psychotechniques « qui n’ont rien à voir avec la médecine du travail », estime Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST).

Contre une médecine de sélection

Pour lui, « le gouvernement a cédé sous le coup de l’émotion ou à la pression du patronat qui revendique constamment que le salarié soit apte à supporter les risques de l’entreprise ». Cette tâche d’aptitude sécuritaire renverrait à une médecine de sélection et annihilerait le but premier de la médecine du travail : faire de la prévention. Car, inévitablement, les salariés ne verraient plus les médecins du travail comme des professionnels de confiance censés les conseiller sur leur santé, mais davantage comme des agents de contrôle ayant le pouvoir de leur faire perdre leur emploi. Et, donc, à qui ils dissimuleraient leurs soucis de santé.

Par cette nouvelle mission, le rôle du médecin du travail dans sa totalité serait décrédibilisé. Les Drs Alain Carré et Dominique Huez, de l’association Santé et médecine du travail, s’insurgent également contre cette médecine de sélection.

Critères discriminatoires

Par ailleurs, le SNPST s’interroge sur l’efficacité et la justesse des critères de sélection médicale, souvent disproportionnés et discriminatoires par rapport à l’évolution des connaissances scientifiques, comme cela a été montré sur les postes de conduite. « Par exemple, les diabétiques sous insuline, considérés comme potentiellement dangereux en raison du risque de comas hypo ou hyperglycémiques, ont longtemps été éliminés de la conduite des poids lourds. En réalité, ils ont moins d'accidents de la voie publique à kilométrage comparable que les conducteurs sains. Ils sont traités, ils se connaissent, et préviennent mieux ! », illustre le SNPST dans sa lettre adressée aux parlementaires le 23 février 2015.

La contestation de l’inaptitude renvoyée aux prud’hommes

Autre levée de bouclier unanime dans la profession contre le projet de loi : en cas de contestation de l’inaptitude, l’Inspection du travail ne serait plus chargée de trancher le litige après avis du médecin-inspecteur du travail. Désormais, le salarié ou l’employeur devront passer par la case prud’hommes en vue de faire désigner un expert judiciaire. Un expert dont les compétences à cerner les conditions de travail, à connaître l’entreprise et les pathologies professionnelles, suscitent des interrogations. « L’Etat se défausse de ses compétences régaliennes. Qui mieux que l’Inspection du travail peut juger du respect du Code du travail ? », s’interroge Jean-Michel Sterdyniak.

 

PESTICIDES : LES AUTORISATIONS DE MISE SUR LE MARCHÉ SANS CONTRÔLE MISES EN CAUSE

La médiatrice européenne, Emily O’Reilly, a donné raison à l’organisation Pesticide Action Network Europe (PAN Europe) et à Générations futures, deux ONG environnementales qui dénonçaient l’autorisation de mise sur le marché de produits phytosanitaires en l’absence de données sur leur toxicité et sur la simple promesse par les fabricants de les fournir ultérieurement.

Censée être exceptionnelle et réservée aux produits dont l’innocuité ne fait guère de doute, cette procédure est largement usitée par la Commission européenne auprès des mastodontes du secteur de l’industrie des pesticides et vis-à-vis de produits pourtant préoccupants.

Dans une décision du 18 février, Emily O’Reilly donne deux ans à la Commission européenne pour publier un rapport démontrant que celle-ci a vraiment mis fin à cette pratique dérogatoire.

A LIRE AILLEURS SUR LE WEB
  • – Un article du Monde sur la nouvelle alerte de l’OCDE concernant les nanomatériaux et leurs risques pour l’environnement et la santé.

    – Le programme des états généraux de la santé des travailleurs, qui auront lieu les 16 et 17 mars à Paris, est publié sur le site du collectif Ne plus perdre sa vie à la gagner.